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sombres et les échappées de vue des larges percées qui le traversent. C’est une bonne fortune inestimable pour une aussi jeune cité d’avoir eu à ses portes la seule chose impossible à improviser, de beaux ombrages. Ses fondateurs ont bien compris ce que valait une pareille aubaine. Ils ont assoupli le dessin rectiligne et géométrique de leur ville pour lui faire enserrer par des courbes avenantes ce petit bois de Boulogne tout trouvé. Il offre une transition de solitude et de verdure entre la ville haute, réservée à la vie officielle, au commerce de luxe, et la ville du bas, qui ne tardera pas à présenter l’aspect animé, exotique et plébéien du trafic maritime, des entrepôts de douane et des fabriques. On y a logé tout ce qui pouvait animer ses pelouses et ses massifs, — un jardin zoologique, le musée, l’observatoire, le chalet élégant, mais tout en bois, qui a servi dès le début et sert encore de résidence au gouverneur de la province, enfin le champ de courses, car concevrait-on une ville sud-américaine sans un champ de courses aménagé avec amour ?

On a vu que le plan de la ville, à part quelques exceptions motivées par le respect qu'inspirait le parc, est crûment rectiligne. Dans l’Amérique du sud, où les villes se font d’un seul jet, on a pris depuis le temps de la conquête l’habitude de les tracer en damier. Les premiers conquérans, qui, venus par mer, avaient des boussoles et ne possédaient guère d’autre instrument de précision, orientaient simplement leurs rues du sud au nord et de l’est à l'ouest, découpant ainsi sur le sol des carrés réguliers. On a fini par remarquer que les vents dominans, qui sont de sud-est et sud-ouest, formaient un angle de 45 degrés avec la direction des rues. Celles-ci étaient dans les plus mauvaises conditions pour être ventilées et assainies par les courans atmosphériques. Les villes nouvelles sont donc taillées sur un patron un peu différent. Les rues y suivent la direction des vents, et à La Plata on a, en principe, adopté cette règle. Seulement le projet de la capitale a été étudié avec plus de soin que celui d’un simple village, et on y a évité le grave inconvénient des villes rigidement quadrangulaires, où, pour aller d’un point à un autre, il faut parcourir les deux côtés d’un triangle rectangle au lieu de suivre la ligne droite qui les joint. On a recoupé les rues à angle droit par des avenues obliques réparties symétriquement. Elles relient les quartiers entre lesquels on suppose que la distribution des places principales et des édifices publics déterminera la circulation la plus active. C’est sans doute là un procédé artificiel, et le développement qu'est appelé à prendre un quartier, ainsi décrété d’avance et marqué sur une épure, peut donner lieu à bien des mécomptes. Les villes ne croissent pas suivant des règles géométriques aussi simples; mais là-bas, c’est une