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allaient un instant dans une prison, pour passer presque aussitôt de la prison dans une retraite d’où il n’est plus sorti. Tout compte fait, c’est une carrière publique de trois ou quatre années à peine ; mais dans ce peu d’années, il avait eu déjà le temps de montrer tout ce qu’il y avait de ressources dans cette nature ferme et déliée, tout ce qu’il y avait d’autorité et de séduction chez ce politique fait pour briller dans les polémiques de l’esprit comme dans l’action.

Ce qui reste l’originalité de M. de Falloux, ce n’est point sans doute le talent supérieur de l’écrivain, quoiqu’il ait beaucoup et habilement écrit, et sur l’amie, la conseillère de sa jeunesse. Mme Swetchine, et sur l’évêque d’Orléans, M. Dupanloup, et sur M. Augustin Cochin ; ce qui fait son originalité, c’est la fine et forte trempe du politique qui s’intéresse à tout dans la retraite comme à l’époque où il était à l’œuvre, qui même, dans une étude en apparence littéraire, défend une tradition, une foi, une cause. M. de Falloux a été en effet, avant tout, un politique à la fois mesuré et hardi, allant habilement au point décisif, et son éloquence des meilleurs jours a l’accent net et vif de l’homme qui sait parler le langage de l’action, qui au besoin sait résumer une situation dans un mot. Les meilleurs de ses discours ne sont pas ceux qu’il a eu le temps de préparer, où il y a un peu d’érudition et d’apprêt littéraire ; ce sont ceux où il a une injure à relever, où, assailli d’interruptions par les républicains qui s’acharnent à ruiner la république, il lance ce trait sanglant : « La France ne veut plus des hommes qui l’ont étonnée par leur inexpérience et leur incapacité ;… la France ne veut ni des hommes qui ne sont capables de rien, ni des hommes qui sont capables de tout. » Cétait vrai alors, c’est toujours vrai, puisque les mêmes violences, les mêmes arrogances de parti se produisent, et aujourd’hui, comme il y a près de quarante ans, on peut dire que ce sont les républicains qui compromettent la répubhque.

Assurément, dans les diverses phases de sa vie, M. de Falloux a toujours été un royaliste de conviction, et, si l’on veut, même avant d’être un royaliste, il a été un catholique zélé, dévoué ; mais, précisément parce que M. de Falloux était un politique, il se défendait de tous les excès comme de toutes les banalités, des emportemens des esprits passionnés aussi bien que des préjugés des esprits frivoles. Il plaçait pour ainsi dire sa foi religieuse et politique dans le cadre du monde moderne ; il ne se séparait pas de la société dans laquelle il vivait. On peut appeler aujourd’hui une œuvre cléricale cette loi de 1850 qu’il avait préparée pendant son court ministère ; à l’époque où cette loi fut votée, elle était une grande transaction entre l’influence religieuse et l’influence philosophique, transaction acceptée, sanctionnée par des esprits comme M. Thiers, M. Cousin. M. de Falloux ne se pro-