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de notre politique. Tous protestaient de leurs sympathies, de leur amour de la paix, et leurs protestations étaient justifiées par le succès que la diplomatie, après de chaudes alarmes, venait de remporter. La conférence de Londres n'avait-elle pas victorieusement affirmé le principe de l'arbitrage des puissances et su conjurer un conflit imminent, redoutable, en proclamant la neutralité du Luxembourg?

Il semblait après un tel résultat, couronné par les splendeurs et les démonstrations fraternelles d'une exposition universelle, que les idées chères à Napoléon III, la fédération des nations et la politique des congrès, allaient se réaliser, que le désarmement s'imposerait aux gouvernemens, à la satisfaction des peuples, que les préjugés internationaux disparaîtraient et que, dominée par de nouvelles tendances, l'Europe ne songerait plus qu'au développement de sa prospérité et de son expansion commerciale. Des chefs d'empire, croyait-on, ne pouvaient se déplacer et se réunir, escortés de leurs ministres, que pour se mettre d'accord sur la politique générale et concilier leurs intérêts respectifs. On attachait à juste titre une importance exceptionnelle au renouvellement des bons rapports entre la France et la Prusse. On se flattait que le séjour du roi Guillaume et du comte de Bismarck à la cour des Tuileries provoquerait de franches, de cordiales explications. Leur présence à Paris, quelque peu étrange, après l'incident du Luxembourg, qui avait tourné à la confusion de perfides calculs, grâce au sang-froid et à la clairvoyance de notre diplomatie, autorisait à croire que le cabinet de Berlin s'était sincèrement ravisé et qu'en face de la réprobation générale soulevée par ses procédés, il en était arrivé à poser de sages limites à son ambition.

Les rapports de nos agens consultaient, en effet, que la Prusse prenait philosophiquement son parti du sacrifice auquel elle s'était soumise, en consentant à l'évacuation d'une place forte qu'elle avait prétendue indispensable à la sécurité de l'Allemagne. Dans ses communications officielles sous forme de circulaires et dans les articles inspirés de sa presse, elle accentuait, du jour au lendemain, sans transition, la modération de la France, que la veille encore elle poursuivait de ses outrages. Elle faisait pressentir une ère nouvelle dans les relations entre les deux pays, fondée sur des sentimens réciproques d'estime et de conciliation[1]. Cette volte-face si brusque était un sujet d'étonnement et même de scandale en Allemagne pour ceux qui avaient pris au tragique les scènes patriotiques

  1. Extrait, de la Gazette de l'Allemagne du Nord : « La présence simultanée des monarques de Prusse et de Russie à Paris, les entretiens intimes, affectueux qu'ils ont avec l'empereur des Français, les conférences de leurs ministres sur la situation politique de l'Europe offrent plus qu'un intérêt de curiosité, ils assurent de sérieuses garanties de durée à la paix. »