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A l'heure où le roi Guillaume et son ministre apparaissaient à la cour des Tuileries, l'horizon ne s'était pas moins complètement rasséréné. Les nuages, un instant si menaçans, s'étaient dissipés. Enclins, comme nous le sommes, aux illusions, il nous était permis de croire, malgré de troublans symptômes, au rétablissement sincère et durable de nos bons rapports avec la Prusse[1]. Et cependant les questions sorties de la guerre de Bohême n'avaient rien perdu de leur acuité. En apparence, rien n'était plus aisé que de les résoudre, mais en réalité rien n'était plus compliqué. La Prusse, malgré l'atteinte portée à son prestige par l'évacuation du Luxembourg, se considérait déjà comme maîtresse de l'Allemagne, elle croyait n'avoir plus aucun intérêt à s'expliquer avec nous sur le problème germanique ; elle entendait le résoudre à l'heure qu'elle jugerait opportune, au gré de son ambition. On ne compte qu'avec les forts, et elle nous savait militairement impuissans. Le désarroi qui régnait dans nos cercles officiels, le réveil de l'opposition, les récriminations de la presse contre le gouvernement, la santé précaire de l'empereur, tout l'autorisait à prévoir qu'avant peu la France, défaillante et livrée à la révolution, serait condamnée à

  1. Dépêche d'Allemagne. — «Il ne m'appartient pas, bien que je les pressente, de m'arrêter aux justifications et aux assurances que le comte de Bismarck fournira au gouvernement de l'empereur en se décidant, après de longues hésitations, à accompagner le roi à Paris. Fidèle à mon rôle d'observateur, je me borne à relever dans les actes du gouvernement prussien tout ce qui pourrait nous éclairer sur la sincérité des assurances qu'il a aujourd'hui un véritable intérêt à nous donner.
    «Les instructions transmises à la presse et aux agens accrédités en Allemagne, la présence du roi et de son premier ministre à Paris, l'initiative prise à Copenhague en vue de la rétrocession des districts danois, tels sont, si je ne me trompe, les actes les plus récens de la cour de Berlin, indiquant le retour à une politique moins exclusivement prussienne. J'ajouterai que sa presse, naguère si hostile, se montre aujourd'hui, en parlant de la France, exempte de passion. En exécutant de la façon la plus scrupuleuse les ordres qu'on lui transmet, elle témoigne de sa discipline et de l'action que le gouvernement prussien sait en tirer au profit de sa politique. Sous le rapport des démonstrations sympathiques, je le signale avec plaisir, il ne nous reste rien à désirer. Tout ce que M. de Bismarck pourra vous dire des vœux de la Prusse de vivre en paix avec la France, est fidèlement reflété par les organes dont il dispose. »