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monde savait qu’en France le chef de l’état se passait de ses conseillers pour engager sa politique ; on n’avait pas oublié qu’il était seul à Plombières lorsqu’il arrêta avec le comte de Cavour la guerre d’Italie. M. de Beust avait d’ailleurs intérêt, pour le succès de sa transformation intérieure et de sa politique étrangère, à se prévaloir de l’intimité de ses rapports avec la France et à laisser entrevoir, sinon une alliance imminente, du moins une alliance éventuelle. Il consacra toute son habileté à accréditer les soupçons par son attitude et par le jeu de sa presse. Il s’entoura d’une partie de sa chancellerie, emmena le comte Andrassy et fit venir M. de Beck, le ministre des finances. C’était plus qu’il n’en fallait pour inquiéter le cabinet de Pétersbourg et faire bondir le cabinet de Berlin. Et cependant il a confessé, depuis la guerre, qu’en réalité personne n’avait eu lieu de s’alarmer. « Nous étions, disait-il, comme des gentlemen riders en face d’un fossé et c’était à qui ne le franchirait pas. » L’aveu était superflu ; l’Autriche en 1870 par son inaction devait suffisamment révéler l’inanité des conférences de Salzbourg.

Cependant l’on rédigea un protocole : on y développait les idées émises dans un mémorandum très concis, que M. de Beust soumit à l’empereur et qui fixait les points essentiels de l’entente[1]. Ce protocole n’engageait à rien ; il devait servir de base, suivant les circonstances, à une future alliance.

  1. Mémorandum autrichien. — Maintien du traité de Prague. — Éviter tout ce qui pourrait être exploité par la Prusse comme une provocation. — Action morale sur les états du Midi pour qu’ils ne sortent pas du statu quo. — Le système libéral inauguré en Autriche servira à réveiller les anciennes sympathies des populations. — Une politique franchement pacifique du gouvernement français enlèvera tout prétexte à de nouveaux engagemens de la part des cours méridionales s’ils leur étaient demandés en prévision d’une guerre. — L’union de la France et de l’Autriche devra se manifester de façon à les faire réfléchir et à leur faire sentir la nécessité d’une attitude indépendante et réservée. — L’accord de la France et de l’Autriche en Orient impressionnera le midi de l’Allemagne s’il ne tardait pas à se manifester. — En Orient aussi, on maintiendra le statu quo. — L’attitude commune, sans être hostile à la Russie, devra être persévérante. La question de Candie devra être reprise en sous-œuvre. — Une cession à la Grèce est devenue de plus en plus difficile. — Il faudra obtenir une pacification prompte du pays en donnant satisfaction à tous les vœux des populations compatibles avec la dignité de l’empire ottoman. On fera une démarche auprès du gouvernement russe pour obtenir son avis sur les moyens de résoudre l’affaire de Candie. On s’adressera ensuite à l’Angleterre pour l’associer aux communs efforts. On tiendra un langage conforme à Athènes pour amener le gouvernement hellénique à une appréciation plus saine de la situation. — L’Autriche s’abstiendra de soulever des différends avec le gouvernement des Principautés-Unies malgré ses griefs, à moins d’y être contraint par des circonstances imprévues. Elle s’impose cette réserve pour conjurer l’intervention armée d’une autre puissance. Si le gouvernement autrichien était forcé d’occuper une partie des principautés contiguë à son territoire, le gouvernement français interposerait ses bons offices. Il convoquerait une conférence pour aviser, suivant l’esprit du traité de Paris, au rétablissement des choses.