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véhémentes critiques. Les conservateurs voyaient avec un amer déplaisir le ministre dirigeant s’engager de plus en plus avec les nationaux, ils lui reprochaient de sacrifier la Prusse à la révolution. Ils avaient beau jeu en face des résistances que sa politique rencontrait des deux côtés du Main. Le roi, en traversant les provinces annexées, avait pu constater combien son gouvernement y était mal vu ; il avait été froidement accueilli[1]. Ce n’est pas à sa personne assurément qu’en voulaient les populations ; elles savaient qu’il était chevaleresque, bienveillant, désireux de leur plaire, et préoccupé de leur sort. Elles se plaignaient du système qu’une bureaucratie formaliste leur appliquait militairement. Le roi en faisait des remontrances à ses ministres : « Nous n’avons pas le temps de nous faire aimer, » répliquait M. de Bismarck, en invoquant la raison d’état.

L’administration prussienne se distinguait par de grandes qualités ; elle était instruite, elle avait le sentiment du devoir et elle témoignait en toutes circonstances d’un ardent patriotisme qui, parfois, s’exaltait jusqu’à l’outrecuidance ; mais elle ne possédait pas le génie organisateur, ni le don de se rendre sympathique. C’est ce qui expliquait l’hésitation dont elle faisait preuve dans la réorganisation des nouvelles provinces, c’est ce qui justifiait aussi la résistance qu’elle y rencontrait. Elle ne songeait qu’à imposer aux populations conquises la loi du vainqueur, elle leur enlevait successivement les privilèges dont elles étaient fières ; elle s’évertuait à les blesser dans leurs intérêts, dans leurs habitudes, dans leurs souvenirs et dans leur amour-propre. « Que de vertus vous nous faites haïr ! » disait Cornélie à César.

Le roi Guillaume s’appliquait à atténuer le rigorisme de ses fonctionnaires par sa simplicité et par sa cordialité. Il conciliait son goût pour les voyages avec les devoirs de sa couronne ; il se

  1. Dépêche d’Allemagne. — « 15 août 1867. Le roi de Prusse a traversé Francfort ce matin se rendant à Cassel ; l’administration avait convoqué pour sa réception, à la gare du chemin de fer, tous les personnages de la ville ayant un caractère officiel. On comptait une centaine de fonctionnaires mêlés à quelques curieux et aux officiers de la garnison. Le roi ne devait s’arrêter que le temps de prendre une collation, car les autorités n’avaient pas jugé prudent de mettre Sa Majesté en contact avec des populations mal pensantes. Mais un incendie ayant pendant la nuit embrasé toute la partie intérieure du Vieux-Dôme, où les empereurs se faisaient couronner du temps du saint-empire, le roi a cédé aux élans de son cœur et s’est rendu sur le lieu du sinistre. L’occasion lui a paru bonne pour donner un témoignage de sollicitude à l’ancienne ville libre si cruellement éprouvée depuis un an. Les masses sont superstitieuses ; la coïncidence de l’incendie du Dôme avec l’arrivée du roi a frappé les imaginations ; on la considère comme d’un fâcheux augure pour la maison de Hohenzollern… On s’imagine qu’elle a perdu les chances de ceindre la couronne impériale, aujourd’hui que la nef séculaire du Dôme où venaient se faire couronner les empereurs est devenue la proie des flammes. »