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et du ministre, dont ils combattaient, au temps du conflit, les réformes militaires et les ambitieux desseins. — Le prestige du chancelier était en jeu, il ne pouvait laisser au Reichstag l’initiative d’une manifestation nationale et subir sa pression. Il lui prouva, en livrant à la publicité la circulaire qu’il avait écrite le 7 septembre sous l’émotion de l’entrevue de Salzbourg, qu’il n’avait pas attendu l’expression de ses vœux, qu’il les avait devancés et dépassés par la hardiesse de ses affirmations.

« Mon patriotisme, disait-il à M. de Bennigsen, n’a pas besoin d’être stimulé, mais les ménagemens que m’impose la politique extérieure ne me permettent pas de répondre aux impatiences de vos amis, qui voudraient me voir chausser des bottes de sept lieues[1]. » On croyait M. de Bismarck maître de la situation, et les contradictions incessantes de sa politique prouvaient que sa volonté était dominée tantôt par les influences de la cour, tantôt par les exigences des partis. « Voudrait-il s’en tenir strictement aux traités, disaient ses défenseurs officieux, qu’il ne le pourrait plus, car le jour où il cesserait de diriger le mouvement national, sa popularité serait atteinte et la Confédération du Nord, qui n’est qu’une œuvre de circonstance, sérieusement compromise. »

L’événement avait justifié les prévisions du baron Nothomb ; l’incident avait surgi et, bien que la France ne l’eût pas soulevé, il ne se retournait pas moins contre elle. La presse allemande, toujours agressive, s’empara de la circulaire, elle la commenta en termes blessans pour notre amour-propre avec l’arrière-pensée de provoquer des répliques. Nos journaux s’y laissèrent prendre. On avait créé à leur intention la Correspondance de Berlin, une feuille autographiée rédigée en français ; elle devait les renseigner sur les affaires allemandes, qu’on leur reprochait de ne pas comprendre, mais, en réalité, elle avait pour mission de provoquer d’irritans débats et d’entretenir des sentimens haineux entre la France et l’Allemagne. M. de Bismarck faisait flèche de tout bois, il ne dédaignait aucun moyen. « Un ministre habile, disait le cardinal de Bernis, sait faire d’un million de petites choses une chaîne qui mène aux grandes[2]. » Nos journaux, au lieu de riposter et de prêter le flanc à de brutales reparties, auraient dû comprendre qu’un silence dédaigneux est souvent la plus éloquente des réponses. Mais, avides

  1. Dépêche d’Allemagne. — « La composition du parlement n’est pas telle que l’espérait M. de Bismarck ; le parti libéral y prédomine, grâce à l’indifférence qui a présidé aux élections, et ce parti n’a que momentanément subordonné ses principes à l’unification. Ce n’est qu’en ménageant le sentiment national et en l’affirmant en toutes circonstances qu’il parvient à lui faire accepter des mesures fiscales et des lois militaires qui répugnent à ses tendances. »
  2. M. Frédéric Masson, Mémoires et lettres du cardinal de Bernis.