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dont fa défection constituerait dans une guerre engagée avec la France, sans parler du contre-coup moral qu’elle exercerait sur les populations annexées, une différence de 300,000 combattans.

M. de Bismarck se rappelait les objections que le baron de Varnbuhler et le prince de Hohenlohe lui avaient opposées au mois d’avril lorsqu’il invoquait le casus fœderis, au moment où les états-majors prussiens allaient envahir notre territoire ; il se préoccupait des démonstrations dont Napoléon III venait d’être l’objet en traversant le Wurtemberg et la Bavière pour se rendre à Salzbourg ; il prévoyait, que si ses alliés n’étaient pas rivés à sa politique par des liens indissolubles, ils pourraient bien, dans une crise suprême, sous la double pression de la France et de l’Autriche, céder à leurs penchans et ne plus consulter que leurs intérêts immédiate.

Les plaintes du gouvernement prussien étaient fondées ; on était au mois de septembre 1867 et les traités signés en août 1866 n’avaient pas encore reçu la consécration des chambres méridionales. L’entrevue de Salzbourg était un avertissement ; l’Allemagne pouvait se trouver, d’un jour à l’autre, en face d’une coalition, il n’était que temps de se préparer à de menaçantes éventualités. Les ministres de Bavière et de Wurtemberg protestaient hautement de leur fidélité à la cause allemande, mais la perspective d’une guerre les troublait, surtout après l’entente qui s’était si manifestement établie entre les deux empereurs. Le prestige militaire de la France n’était pas atteint, malgré les défaillances de sa politique au lendemain de Sadowa, l’Autriche se consacrait avec ardeur à la réorganisation de ses armées, et l’on croyait savoir que le cabinet des Tuileries et le cabinet de Vienne s’opposeraient dorénavant à toute nouvelle transgression des stipulations du traité de Prague. On se sentait entre l’enclume et le marteau. Il était permis de réfléchir.

La confiance dans le maintien de la paix s’affaiblissait de plus en plus. La crainte d’un conflit s’imposait au sud du Main à tous les esprits. « Aurons-nous la guerre ? » se demandait-on journellement ; les chances de la lutte étaient discutées dans la presse et dans des brochures à sensation[1] ; on montrait l’Allemagne du Midi livrée à la France par un rapide coup de main qui lui assurerait dès le début de la campagne d’énormes avantages militaires et politiques : militaires, en lui permettant de tourner la ligne du Rhin et en lui fournissant une base d’opérations solide contre le Nord ; politiques, en détachant dès le début de la défense commune une partie de l’Allemagne, qui serait vouée à l’impuissance. Ces appréhensions, publiquement exprimées, trahissaient les sentimens qui hantaient les cours et les populations. On se voyait exposé aux premières attaques et l’on se

  1. Brochure de M. Arcolay et brochure de M. Molh.