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croisière ennemie était alors au vent de l’Ile : elle se composait du vaisseau de quatre-vingts canons le Blenheim, ancien vaisseau à trois ponts, auquel on avait rasé la batterie des gaillards, de la frégate neuve la Java, du brick le Harrier. Le vaisseau et la frégate coulèrent à fond avec l’amiral Troubridge, un ancien compagnon de Nelson : onze cents hommes d’équipage périrent. Le brick seul échappa. Il en fut quitte pour la perte de sa mâture et de sa batterie jetée à la mer. Le 13 février, nous rentrâmes au Port-Louis avec des mâts de fortune : deux mois plus tard, nous repartions pour une nouvelle croisière. Notre mâture, notre gréement, notre voilure étaient entièrement neufs. »

Le Port-Louis, on le voit, était un port de ressources. Telle fut, au XVIe siècle, Alger la Moresque, avec ses corsaires, ses captifs et l’opulence qu’elle devait aux prises faites par ses marins. L’abattement qui, dans les mers d’Europe, s’emparait peu à peu de la marine française, était inconnu dans les mers de l’Inde : on n’y comptait, en effet, que des triomphes. Quelle confiance ! Quelle ardeur ! Et combien il est doux de retrouver dans ces récits intimes le l’eu sacré qui animait jadis les marins de Saint-Malo et de Dunkerque ! Le gouvernement du général Decaen a fait, pendant quelques années, revivre à l’Ile-de-France les temps où la fortune ne savait pas encore à qui, des Anglais ou de nous, elle adjugerait l’empire de la mer. Les nouveaux mâts de la Sémillante se trouvèrent, par malheur, de mauvaise qualité. Le capitaine Motard en alla chercher de meilleurs aux îles Nicobar, dans l’excellent port de Nausoury. La forêt descendait jusqu’à la plage ; il fut facile d’y couper des mâts et des vergues. La frégate pouvait désormais affronter les tempêtes : elle se porta, sans perdre un instant, à la hauteur de la pointe d’Achem, une des extrémités de la grande île de Sumatra, et s’établit en croisière à l’entrée du détroit de Malacca. La Sémillante se postait ainsi sur le passage de tout le commerce de l’Inde et de l’Europe avec la Chine.

« Il y avait déjà trois semaines, écrit l’amiral Baudin, que nous tenions cette croisière, malgré le vent toujours grand frais, des pluies torrentielles et une très grosse mer, lorsque, le 20 juillet au matin, nous découvrîmes onze voiles que nous reconnûmes bientôt pour le convoi de Chine, convoi composé de dix vaisseaux de la compagnie des Indes, naviguant sous l’escorte d’un vaisseau de ligne de soixante-quatre canons, — le Lion, comme nous l’apprîmes plus tard. — La disproportion des forces était grande : le capitaine Motard n’hésita pas cependant à s’approcher du convoi anglais et à essayer de l’entamer. Pendant deux jours et une nuit, nous rôdâmes autour de la proie que le ciel nous envoyait. Mais le