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l’accuse de concussion ; Carnot, qui lui reproche ses lenteurs : bref, sa popularité menacée. Aussitôt, pour parer le coup, il court aux Jacobins, et, là, dans un discours enflammé, il s’élève contre les diatribes de ses ennemis, contre l’accusation de modération qu’on a portée contre lui. N’a-t-on pas été pour « l’avilir et le rendre suspect[1] jusqu’à l’anoblir, lui un si bon roturier[2] ? » Ne lui a-t-on pas reproché d’avoir ménagé les Lyonnais, lui « qui en a fait tuer 5 à 6,000 et qui, pendant soixante et un jours de tranchée ouverte, n’a pas cessé de tirer sur la ville à boulets rouges[3]… » Enfin, n’est-ce pas lui qui a proposé le premier que « l’on n’entrât dans Lyon que l’épée d’une main et la torche de l’autre[4] » et n’est-ce pas à lui « qu’appartenait ce système ? »

Des Jacobins passons maintenant à la Convention : là aussi Dubois-Crancé voudrait bien se justifier, mais on refuse de l’entendre ; il insiste, on l’ajourne. Alors plus d’hésitation, arrière le sentiment, arrière la pitié ! S’accrochant à la tribune, pour rentrer en grâce il lâche tout : « J’apporte à la Convention, dit-il, une pièce très importante. C’est un arrêté signé individuellement de 20,000 Lyonnais, qui prouve leur rébellion contre la Convention et contre la France entière. Tous les signataires sont les plus riches de Lyon. J’ai calculé que le séquestre des biens de ces traîtres donne à peu près pour 2 milliards de propriétés à la nation. Je demande que ce monument de honte pour les Lyonnais soit déposé aux Archives, qu’il soit imprimé et les signataires poursuivis. »

Et comme Billaud-Varennes lui demande « s’il a laissé une copie de cette pièce aux représentant du peuple qui sont restés à Lyon, afin qu’ils puissent connaître les traîtres, les poursuivre et se saisir de leurs biens, » lui, de répondre : « Cette pièce m’a paru si importante que je n’ai pas voulu m’en dessaisir. Durant le siège je l’avais mise dans un lieu bien sûr, afin que, dans le cas où j’aurais été tué, elle pût parvenir à la Convention. Au surplus, je demande, comme Billaud-Varennes, qu’il en soit envoyé une copie à nos collègues qui sont à Lyon. »

  1. Compte-rendu de la mission de Dubois.
  2. C’était un pur mensonge : les Dubois-Crancé figuraient depuis trois générations dans les annuaires avec leurs titres, et si leur noblesse avait pu leur être contestée jadis, elle était devenue très authentique en 1780 par l’octroi de lettres d’approbation de service portant création de noblesse.
  3. Réponse à Couthon.
  4. « Ta mémoire n’est pas heureuse, Maignet, car c’est moi-même qui ai proposé que l’on n’entrât dans Lyon que l’épée d’une main et la torche dans l’autre. Ce système m’appartenait si bien que j’en avais usé le 24 septembre à Oullins, et que j’avais recommandé à Vaubois d’en user aux Brotteaux le 29, ce qu’il fit. Tu veux t’en faire honneur, soit, mais ne m’accuse pas d’une opinion contraire. » (Dubois-Crancé, réponse à Maignet.)