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si elle condescendait seulement. L’Italie, si grave jadis, quand, la première de toutes les nations, elle se mit à chanter, a vite changé de ton. Elle avait la voix trop facile et l’oreille trop complaisante à son intarissable mélodie. Elle est tombée dans la banalité, et même plus bas. Mais elle a gardé longtemps le don du rire, de ce rire sonore qui retentit dans le Barbier, par exemple, ou dans la Cenerentola. Tout, dans l’art italien : l’agilité des voix, l’entrain des comédiens, même certaines ressources syllabiques d’une langue qui se fait tour à tour comique ou caressante, tout prête à cette gaîté plantureuse, homérique, qui fait explosion dans tel ou tel finale d’opéra bouffe, et dont Rossini fut le maître par excellence.

Cette gaîté, nous ne l’avons jamais connue. Notre musique française a presque toujours craint l’excès dans la joie comme dans la tristesse. Son originalité est précisément dans cette mesure. Qu’elle la garde et, quoi qu’on dise, elle ne périra pas.


II

Sainte-Beuve, dans un article sur Piron[1], dit de l’opéra-comique : « Ce genre de spectacle, depuis si charmant et si français, alors au berceau, était des plus humbles et des plus bas ; il consistait en de simples parades, qui, nées sous la régence et grâce aux libres mœurs qu’elle favorisait, en avaient pris le ton… Le Sage, Fuzelier, Dorneval et Piron furent les premiers, nous dit Favart, qui tentèrent d’ennoblir ce théâtre. »

Le mot d’opéra-comique désigna d’abord seulement des parodies d’opéras. La parodie de Télémaque, de Le Sage et Gilliers, jouée en 1715, fut la première à porter ce titre. On nommait alors pièces à chansons, ou à ariettes, les comédies mêlées de chant, qui devinrent notre véritable opéra-comique. Elles se jouaient sur les théâtres forains. On sait que deux grandes foires avaient lieu chaque année à Paris : la foire Saint-Germain, de février à avril, et la foire Saint-Laurent, de juillet à septembre. Au XVIIIe siècle, leur succès était consacré depuis longtemps, et la foule se portait surtout aux représentations des pièces à chansons. La vogue de l’opéra-comique naissant alarma promptement les autres théâtres, ses aînés. Les comédiens italiens, installés en France depuis le XVIe siècle, accueillis par les Valois, protégés par Mazarin, chassés par Louis XIV, rappelés enfin par le régent, s’allièrent à l’Opéra et à la Comédie-Française contre l’ennemi commun. Ces pauvres tréteaux de foire étaient fragiles, et plus d’une fois ils subirent de rudes assauts. Les soirées étaient orageuses : on se gourmait et les banquettes volaient en

  1. Nouveaux Lundis, t. VII.