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qui vient d’être nommée pour faire honneur au vote de l’urgence parait peu favorable à une amnistie en ce moment. La droite, après avoir répondu à un défi gratuitement irritant, bornera là sans doute ses représailles. Une partie de la gauche semble assez disposée à battre en retraite ou à chercher un moyen de se dégager. L’amnistie, fût-elle votée au Palais-Bourbon, irait probablement échouer au Luxembourg. C’est une campagne plus bruyante que sérieuse ; mais elle sert à montrer ce qu’il y a de désarroi dans ces partis qui se disputent la France, ce que peut gagner un gouvernement à chercher, pour vivre d’une vie factice et toujours incertaine, des alliés qu’il ne peut garder qu’en leur livrant tous les intérêts du pays, en se faisant avec eux le complice d’une désorganisation croissante de la puissance nationale.

La vérité est qu’une fois dans cette voie, on est souvent exposé à ne plus pouvoir s’arrêter. Un gouvernement cesse de s’appartenir ; il est réduit à livrer tour à tour l’administration ou la justice, la paix religieuse ou l’intégrité de l’ordre militaire, à transiger sur les intérêts les plus inviolables, à chercher les moyens de désarmer ou d’éloigner des adversaires, de ménager des partis dont il se flatte de contenir la violence et d’avoir le concours. C’est le règne des idées fausses, des passions meurtrières et des expériences hasardeuses tentées aux dépens du pays. M. le président du conseil, qui ne manque pas de confiance en lui-même, s’est promis et a promis aux chambres de régler pour le mieux les affaires toujours fort embrouillées de l’Indo-Chine. Il n’a pas perdu de temps, puisqu’il a déjà soumis à M. le président de la république un décret organisant le protectorat de l’Anham et du Tonkin, avec un résident général civil, investi de pouvoirs extraordinaires, commandant les forces de terre et de mer, administrant et négociant au besoin. La combinaison qui va être essayée peut certainement avoir sa valeur, — on ne pourra guère la juger que lorsqu’on verra le nouveau régime à l’œuvre. C’est, dans tous les cas, un intérêt considérable de la France qui est en jeu ; c’est un mandat aussi difficile que délicat qui va être remis entre les mains d’un homme, et à qui M. le président du conseil confie-t-il cette mission ? Il n’a peut-être fait qu’un choix de parti.

M. Paul Bert peut sans doute être un adversaire ou un ami remuant et incommode à Paris ; il peut malheureusement aussi être un résident général assez dangereux sur les bords du Fleuve-Rouge, à en juger par les discours, les programmes et les confidences qu’il prodigue depuis quelques jours. M. Paul Bert parait ne plus pouvoir contenir sa fierté et son impatience depuis qu’il se sent appelé à de si hautes destinées. Il n’a de secrets pour personne, il est prêt à confier ses pensées les plus intimes, ses préoccupations à qui veut bien aller l’interroger ; il pérore dans son cabinet, il pérore dans les banquets,