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Manquer d’eau en vue de la rivière, se voir contraint d’envoyer remplir ses futailles à 280 lieues du mouillage qu’on occupe, telle est la perspective qui s’ouvre devant la division navale du Mexique. Et cette eau, la plupart du temps, quand on l’aura fait venir à grands frais, on la recevra corrompue, « noire comme de l’encre » et fétide. Nos appareils distillatoires nous épargnent maintenant ces misères : seulement qu’on n’oublie pas qu’ils n’ont fait que déplacer la question. Au lieu d’eau, c’est du charbon qu’il faut se procurer. Si, en 1859, je n’avais capturé sur ma route des navires autrichiens chargés de 3,000 tonneaux de houille, je n’aurais jamais réussi à maintenir pendant près de trois mois le blocus de Venise. La guerre de course dont on parle tant aujourd’hui pourrait bien, faute de dépôts de charbon, devenir impossible partout ailleurs que dans les mers d’Europe : elle était autrement facile au temps de la marine à voiles. Heureusement il n’est pas nécessaire d’aller loin pour intercepter les richesses ennemies, et nos colonies mêmes ne se défendront nulle part aussi efficacement que dans la Manche ou dans la Mer du Nord.

Le 18 octobre au matin, sur la sonde du banc de Campêche, la Néréide rencontre les frégates l’Herminie et l’Iphigénie : ces frégates allaient renouveler leur eau à La Havane. Triste spectacle pour les bâtimens qui arrivent de France ! Voilà donc dans quel état on revient des côtes du Mexique ! « La fièvre jaune et le scorbut, écrit l’amiral Baudin, ont chassé l’Herminie et l’Iphigénie du golfe. Il est grand temps qu’elles atteignent un port de relâche. L’Herminie ne saurait, vu la réduction de son personnel, continuer la campagne : sur 500 hommes, elle compte 343 malades. L’Iphigénie seule pourra être remise en état de rallier mon pavillon. Elle a cependant enterré à Sacrificios quarante-cinq marins et cinq officiers. » La fortune, on serait tenté de le croire, est lâche : quand elle a commencé à frapper, elle s’acharne à plaisir sur sa victime. La pauvre Herminie, si éprouvée, ne devait pas revoir la France ; en partant de La Havane, elle alla donner sur les rochers des Bermudes et y termina sa carrière.

On parlait beaucoup, à bord de la Néréide, des nortes, coups de vent soudains qui, partis de la pointe des Florides, ne s’éteignent que dans les vastes plaines du Yucatan. Le 23 octobre, on s’estimait à sept lieues de La Vera-Cruz : une violente tempête tout à coup se déclare et pendant deux jours les robustes côtes de la frégate-amirale sont mises à l’épreuve. On sait désormais à quoi s’en tenir : la saison des épidémies fait place à la saison des tourmentes, lorsque les deux fléaux ne s’entendent pas pour vivre de compagnie. Enfin le 26 octobre apparaît au loin la cime neigeuse du pic d’Orizaba.