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l’on omet celle de Maximin, qui dura peu), et qu’elles n’aient fait un nombre incalculable de victimes. Tout le monde alors admettait sans aucune hésitation la réalité des Actes qu’on lisait dans les églises pour édifier les fidèles ; c’est le temps où s’épanouissaient toutes les fleurs de la légende dorée. Les premières années de la Renaissance, qui ébranlèrent tant de superstitions, ne furent pas trop nuisibles à celle-là. La réforme persécutée, qui cherchait des forces dans l’exemple des anciens martyrs, dont elle pensait continuer l’œuvre, n’avait aucun intérêt à en diminuer le nombre ou à battre en brèche leur histoire. Scaliger, qui lisait pieusement les récits du Martyrologe, disait : « Il n’y a rien dont je sois plus ému ; si bien qu’au sortir de cette lecture je me sens tout hors de moi. » Les doutes s’exprimèrent pour la première fois d’une manière scientifique dans la dissertation de Dodwell, publiée en 1684, et qui est intitulée : De paucitate martyrum. Le moment était heureux pour une attaque de ce genre : le XVIIe siècle finissait ; les esprits commençaient à s’émanciper, et déjà pointait l’incrédulité du siècle nouveau. La dissertation de Dodwell fut lue avidement et fort commentée. En vain dom Ruinart essaya-t-il d’y répondre dans la préface de ses Acta sincera ; il ne put en détruire l’effet. Voltaire, dès qu’il entre dans la lutte, crible Ruinart de ses railleries, et, ce qui est plus cruel, prend dans son livre même des argumens pour le combattre. Il refait à sa façon le récit des martyres les plus fameux, il en parodie les détails les plus touchans, et trouve moyen de nous égayer de ce qui faisait pleurer nos pères. Toutes les fois qu’il touche à ce sujet, sa verve est intarissable ; puis, après qu’il a signalé les fraudes, les erreurs, et ce qu’il appelle « les sottises dégoûtantes » dont on a composé l’histoire des premiers temps de la religion chrétienne, il termine par cette conclusion ironique : « Elle est divine sans doute, puisque dix-sept siècles de friponneries et d’imbécillités n’ont pu la détruire ! »

C’est donc la dissertation de Dodwell qui a été le point de départ des doutes au sujet du nombre des martyrs et de la violence des persécutions ; mais, comme il était naturel, on est allé depuis beaucoup plus loin. Voici à peu près jusqu’où les plus radicaux arrivent en ce moment. Les dernières persécutions de l’église, à partir de celle de Dèce, ont laissé des traces si profondes et sont attestées par des documens si certains qu’il n’est pas possible d’en nier l’existence. On est bien forcé de les admettre et l’on se contente d’affirmer ou de laisser entendre qu’elles ont fait beaucoup moins de victimes que les écrivains ecclésiastiques ne le prétendent. Mais pour celles qui ont précédé, on est plus à l’aise ; non seulement on en diminue beaucoup les effets, mais on arrive même à les supprimer. Le moyen d’y parvenir est fort simple : il s’agit