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de la restauration pensèrent pouvoir fixer la valeur vénale normale à vingt fois ce revenu, soit 692,407,000 francs. Avant le 12 prairial an III, l’on avait aliéné 370,617 lots de biens d’émigrés, sans indication de revenu, pour une somme totale de 605,352,000 francs, en ramenant à leur valeur en espèces les assignats qui avaient servi au paiement. Si l’on tient compte que le prix avait été très déprimé par la mise en vente simultanée d’une quantité considérable de terres, l’état critique général du pays et la défaveur qui s’attachait à des acquisitions entachées de violence et de confiscation, on peut évaluer à 1 milliard 1/2 environ la valeur réelle en 1790 de tous les biens d’émigrés qui ont été vendus tant avant le 12 prairial an III qu’après cette date. En y joignant les biens ecclésiastiques, on arrive à 2 milliards 1/2 : ce fut vraisemblablement le dixième du territoire de la France qui changea de mains pendant la période révolutionnaire. Or, de nos jours, en temps de prospérité, les transmissions entre-vifs d’immeubles à titre onéreux ne représentent guère que la cinquantième partie annuellement de la totalité de la valeur immobilière.

Il est difficile de contester que la petite propriété n’ait pas profité dans une certaine mesure d’aliénations aussi considérables. Les 370,617 ventes opérées avant le 12 prairial an III ne représentent, d’après le prix d’achat, que 1,630 francs par vente. Les 81,455 fonds aliénés après cette date formaient de plus gros morceaux, puisque le revenu moyen de chacun avant 1790 s’élevait à 400 livres. Tout en admettant que beaucoup de ces lots ont été rachetés par des prête-noms pour les anciens propriétaires, que d’autres en grand nombre sont échus plutôt à la moyenne propriété qu’à la petite, il est certain que celle-ci en profita dans une certaine mesure. M. de Foville estime que la Révolution peut avoir fait sortir de terre un demi-million de propriétaires nouveaux. Ce chiffre serait plutôt exagéré, puisque pour les biens d’émigrés, le nombre de lots fut seulement de 450,000 et que, même en tenant compte du morcellement fait par la bande noire, beaucoup des biens mis ou remis en vente par le trésor ou par ses acheteurs directs furent achetés par des personnes qui étaient déjà propriétaires.


III

Combien se rencontre-t-il, à l’heure actuelle, de propriétaires en France ? La plupart des hommes croient qu’il doit être aisé de répondre d’une manière péremptoire à une question qui semble si simple. Rien, cependant, n’est plus difficile. Le rapporteur de la « proposition de loi concernant les immeubles non bâtis, » M. Luro,