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Les environs de la grande ville sont restés les mêmes, et l’aspect général n’a pas changé. Les eaux du fleuve (nous sommes à l’époque de la crue) atteignent presque au faite de la levée qui protège la cité. Tout le pays avoisinant, plat et bas, a l’air d’une gigantesque cuvette aventurée au milieu des flots. La ville est au fond, protégée par cette mince muraille de terre qui la défend seule contre une destruction certaine. A l’entrée, se dressent encore les vieux magasins à sel, qui ont vu, au début de la guerre de sécession, se réaliser de si prodigieuses fortunes, grâce à la hausse imprévue de cette denrée. Les quais, avec leurs larges planches, s’allongent toujours sur la même étendue ; mais les steamers ont disparu, sinon complètement, du moins presque tous. L’aspect de la ville, en somme, a très peu changé. C’est toujours la même poussière, épaisse et mélangée de papiers, qui remplit les rues, et vient s’épandre en couches grises sur l’eau qui dort dans les ruisseaux profonds. Dans la région du sucre et des salaisons, les trottoirs sont, — comme jadis, — encombrés de grands tonneaux, de barils, de quartauts aux contenus variés. Les maisons de commerce ont gardé leur laideur austère et leur apparence poussiéreuse.

La principale rue, Canal-Street, est plus remuante et plus populeuse que de mon temps, avec son courant incessant, ses processions de tramways, et, vers le soir, ses larges vérandahs s’ouvrant au second étage, pleines de gens élégans. L’architecture, pourtant, n’y offre rien de remarquable. A proprement parler, il n’y a pas d’architecture à la Nouvelle-Orléans, si ce n’est dans les cimetières. L’accusation est dure à formuler contre une ville aussi riche, aussi libérale, aussi énergique, et qui compte 250,000 habitans ; mais elle n’en est pas moins vraie. Le seul monument est la Douane, grande bâtisse de granit, fort coûteuse, mais qui est à peu près aussi décorative qu’un gazomètre ou une prison d’état. Il faut remarquer toutefois qu’elle est antérieure à la guerre de sécession, et que l’architecture n’a pris naissance en Amérique qu’au lendemain de ce grand conflit. À ce point de vue, il est permis de regretter que la Nouvelle-Orléans n’ait pas en le bénéfice d’un de ces incendies grandioses qui ont renouvelé si complètement certaines cités du Nord. A Boston et à Chicago, les quartiers incendiés se distinguent du reste de la ville par une élégance toute commerciale, il est vrai, mais qu’aucun autre pays ne pourrait peut-être dépasser. D’ailleurs, la Nouvelle-Orléans a cherché, ces derniers temps, à suivre le mouvement architectural ; quand la Bourse des cotons sera terminée, la ville jouira d’un noble et imposant édifice, d’aspect très substantiel, et où les imitations et le rococo n’auront aucune part. Malgré les frais considérables de