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la France et l’Italie ont fini par casser les vitres ; elles vous ont établi un gros impôt, et l’huile de cotonnier ne pouvant pas supporter l’élévation correspondante du prix, il a bien fallu abattre les cartes…

— Vraiment ! vous croyez ? Attendez un instant, s’il vous plaît.

Il disparut et revint presque aussitôt avec deux bouteilles à long col qu’il déboucha.

— Sentez-moi cette huile-là, goûtez-la, examinez les étiquettes ; l’une d’elles est de la véritable huile d’olive européenne, l’autre n’est jamais sortie de ce pays-ci. Faites-vous la différence ? Vous voyez bien que non. Les plus malins ne le pourraient pas. Et nous ne nous amusons pas, je vous assure, à envoyer nos produits en Europe. Ils sortent tels quels de notre manufacture à la Nouvelle-Orléans, huile, bouteilles et tout. Tout, excepté les étiquettes. Ah ! les étiquettes, par exemple, nous les achetons à l’étranger, et elles ne nous reviennent pas cher. Tenez, dans un litre d’huile de cotonnier, il y a tout juste un centigramme de je ne sais quoi qui lui donne mauvais goût. Notre maison a trouvé moyen de le faire disparaître, et c’est la seule. Après quoi on peut en faire ce qu’on veut. Nous allons vite, et les affaires aussi. Peut-être que vous fournirez tout le beurre d’ici peu ; mais je vous jure qu’il ne se fera bientôt plus une salade sans nous, entre le golfe du Mexique et le Canada.

Là-dessus, pleins d’admiration l’un pour l’autre, les deux malfaiteurs échangèrent leurs cartes. Comme ils s’éloignaient, le marchand de beurre fit une dernière question.

— Mais pourtant, il faut bien que vous fassiez estampiller vos produits à la douane. Comment vous y prenez-vous ?

Je n’entendis pas la réponse, à mon grand regret ; mais je restai rêveur devant les douces perspectives que leurs paroles m’avaient ouvertes.

Nous arrivions à Natchez après avoir fait 300 milles en vingt-deux heures et demie, un des trajets les plus rapides que j’aie vus. La ville est séparée en deux parties très distinctes. La ville basse, au bord de la rivière, est un éparpillement de minces et vilaines maisonnettes. Dans les temps anciens, à l’époque où la vapeur faisait défaut, elle jouissait d’une réputation détestable au point de vue moral. La ville haute, au contraire, perchée au sommet de la colline, a toujours passé pour une des plus riantes de la vallée. Comme ses voisines, elle cherche à s’étendre et s’entoure d’un réseau de chemins de fer, qu’elle dirige en tous sens dans le riche pays environnant. L’industrie y est florissante. La filature Rosalie compte cent soixante métiers et cent ouvriers. La compagnie des cotons de Natchez a commencé ses opérations il y a quatre ans, avec un capital de 105,000 dollars, entièrement souscrit par les habitans de la