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Saint-Benezet, M. de Mahy, alors ministre de l’agriculture, avait remarqué la transformation des vignobles français phylloxérés en vignobles américains résistans (transformation obtenue par greffe profonde). Ce procédé rapide et sûr de reconstitution ne s’est pas généralisé, parce qu’il n’atteint son but que lorsqu’il réussit du premier coup sur la majorité des souches[1].

En effet, transformer au lieu de replanter, c’est perdre une année au lieu de quatre, c’est dépenser peu pour arriver tôt au lieu de dépenser beaucoup pour arriver tard. La vigne transformée en mai 1885 donnera une récolte en 1886, tandis que, replantée, elle demandera, en plus des trois années strictement nécessaires pour tirer une grappe d’un sarment, le temps de préparer la terre à recevoir une nouvelle plantation.

Ces résultats n’appartiennent qu’à ceux qui savent faire à temps le sacrifice d’une vigne encore en plein rapport, et jusqu’ici, ceux-là se sont montrés fort rares ; il faut être exceptionnellement ferme et convaincu pour imposer à un personnel incrédule la bonne exécution d’un système aussi contraire à toutes les routines viticoles. L’art « d’utiliser les restes » ne trouve pas sa place dans les opérations viticoles, et c’est à des tentatives infructueuses, parce qu’elles étaient tardives, que la transformation par greffe profonde doit sa condamnation prématurée.

Revenons aux greffes françaises sur porte-greffes américains. La cause la plus fréquente de leurs défaillances est l’affranchissement du greffon ; le phylloxéra dévorant les racines de ce greffon français, il ne lui reste qu’à mourir de la mort des vignes phylloxérées. Cet affranchissement est dû à la négligence ou à l’idée erronée que, passé la première année, le greffon n’émet plus de racines[2]. On oublie que chaque racine retranchée laisse en contact avec la terre une cicatrice qui n’est, en réalité, âgée que de quelques mois, par conséquent apte à produire des racines l’année suivante ; racines qui laisseront à leur tour des cicatrices, et créeront ainsi un cercle vicieux dont on ne pourra plus sortir[3].

Ceci nous amène à répéter que, si la viticulture nouvelle est pleine de promesses, elle est aussi remplie de menaces, parmi lesquelles l’affranchissement des greffons est une des plus graves à prévoir, à éviter et à craindre. En entrant dans cette nouvelle forme de la

  1. Le recépage, tel qu’il a été pratiqué à Saint-Benezet pour obvier à des affranchissemens insuffisans, devant être l’exception et non la règle.
  2. . On trouve encore des vignerons qui laissent exprès une ou deux racines au greffon pour le cas où le porte-greffe mourrait et où le phylloxéra disparaîtrait. Beaucoup d’insuccès sont dus à cette imprudence.
  3. . Le moyen d’échapper à cet enchaînement fatal, qui a déjà fait plus de victimes qu’on ne pense, est d’en revenir au déchaussage tel qu’on le pratiquait avant l’ère d’économie ouverte par le phylloxéra.