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sont vraies : la prétendue étourderie par laquelle il jette son sauveur Didier et son amie Marion dans la gueule du loup n’est proprement qu’un trait d’ineptie imposé par l’auteur, et qui ne se peut imposer qu’à un fantoche : pupazzi que tous ces gens-là !

Autre intermède, le quatrième acte : à bien compter, cela en fait trois ; depuis l’exposition, nous n’avons pas en autre chose. Divertissement historique, celui-ci : des personnages de cavalcade, mis à pied, jouent une parade sérieuse. Un Louis XIII automatique, prêté par le musée Tussaud, écoute le récit du vieux Nangis : il est magnifique, ce morceau d’épopée ; M. Dumaine le dit fort bien. Pourquoi ne le bisse-t-on pas ? C’est le meilleur instant de la soirée. Il est vrai que la fameuse scène de L’Angély avec le roi vient ensuite ; mais cette philosophie de bouffon, vulgaire et qui fait l’importante, verbeuse et baroque, laisse le public indifférent : c’est une contrefaçon de Shakspeare pour le théâtre de la foire au pain d’épices.

Enfin arrive le dernier acte, où Marion et Didier vont se décider à s’occuper de nous et d’eux-mêmes. Trop tard ! Le crédit ouvert par la patience de l’auditoire est épuisé. Le poète ne reprend pas les âmes qu’il avait à peine saisies au premier acte et qu’il a lâchées. Désintéressé des personnages, le spectateur s’ennuie ; le frisson d’un sourire parcourt la salle, quand Didier, après ses beaux couplets sur la mort et l’immortalité de l’âme, s’approche de Saverny, lui touche le bras et s’aperçoit qu’il dort : « Nous l’excusons, pense chacun à part soi, et nous l’envions. » Après cela, même le dernier grand duo, où se resserre en somme le drame tout entier, même la supplication de l’héroïne, l’imprécation du héros et son pardon final, même la pâmoison et le suprême cri de Marion ne peuvent émouvoir nos entrailles. Nous nous retirons mécontens de nous, comme après une cérémonie funèbre où non-seulement la sympathie, mais encore le respect a failli nous manquer.

Sans doute, joint à l’état de santé de Mme Sarah Bernhardt, le jeu prosaïque et mesquin de M. Marais a nui à cette reprise Dans une récente monographie de « l’Acteur, » publiée par une revue spéciale[1], M. Sarcey le constate avec chagrin : « Il n’y a plus moyen de jouer à cette heure le drame flamboyant de 1830 ; Mélingue a suivi Frédérick-Lemaître dans la tombe, et il n’a passé à personne le panache qu’il avait reçu de lui. » Cependant il serait injuste, en ce désastre, d’accabler de toute la responsabilité les interprètes ; il faut avoir le courage de le dire : Victor Hugo à peine mort, on s’aperçoit que son œuvre dramatique n’a pas vécu. Jadis, pendant seize années, de 1827 (Cromwell) à 1843 (les Burgraves), cette œuvre fut agitée aux abords des théâtres

  1. Revue d’art dramatique, fondée et dirigée par M. Edmond Stoullig.