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soucie pas de rencontrer ce locataire compromettant et lui fait donner congé. Dans l’appartement de l’exilé, Savourette trouve la photographie de sa femme ; il va chercher jusqu’à Montauban une explication satisfaisante, et comme Brichanteau, par vengeance et malice, la lui refuse : « Monsieur, s’écrie-t-il, sachez que j’ai été deux fois sur le point de me battre et que je suis prêt à recommencer ! » La querelle apaisée, Brichanteau raconte au bonhomme, qui brigue la croix, lui aussi, qu’il avait reçu cette photographie des mains du premier mari pour la montrer au ministre : « Est-ce l’usage ? » réplique Savourette. Enfin, comme les cartes se brouillent de nouveau, il fait cette déclaration : « Monsieur, j’ai toujours pensé qu’un propriétaire doit se faire respecter de ses inférieurs,.. je veux dire de ses locataires. »

M. Thiron, par la largeur et la précision de son jeu, fait de Savourette une figure magnifiquement ridicule et nettement vraisemblable : on croirait voir, ressuscité soudain, l’original d’un dessin de Daumier. Ah ! l’excellent comédien, tout à son rôle et qui le met en relief sans s’avancer hors du plan que lui a marqué l’auteur ! M. Coquelin cadet, matois et faraud, a beaucoup plu sous la livrée d’un valet, — peut-être plus parisien que son maître, — qui fait profession d’aimer la province « parce qu’il s’y sent supérieur » et de ne vouloir a servir que ses égaux, c’est-à-dire de vrais hommes du monde. » Mlle Reichemberg, qui joue l’orpheline, est simplement parfaite. M. Coquelin aîné l’est aussi dans la majeure partie de son rôle, qui est le principal : en quelques passages, il s’évertue à être un peu plus. Oserai-je lui dire qu’il doit se défier du plaisir qu’il prend, avec l’approbation de la plupart des auditeurs, à choisir parfois un morceau de bravoure, à le détacher du reste en y faisant chatoyer toutes les nuances de sa voix et briller la virtuosité de sa diction, à le pousser jusqu’à certaines notes éclatantes et à le terminer par une certaine cadence ? Il paraît avoir écrit cette musique, ou plutôt cet exercice musical, pour y montrer en même temps, comme dans un monologue mélodieux, tous ses avantages : il le place presque indifféremment, depuis quelques années, sous telle tirade de Figaro, sous tel couplet du duc de Septmonts, sous le panégyrique de Paris par « un Parisien. » Ai-je besoin de lui démontrer que ce procédé nuit à l’ensemble du rôle et de l’ouvrage, qu’il en détruit l’économie, qu’il en arrête la marche, qu’il est lyrique, si l’on veut, mais point dramatique ? Il suffira sans doute d’avoir averti de cet abus sa conscience de comédien.

C’est une bien autre querelle, plus grave et où je souhaite passionnément de l’emporter, que je veux faire à M. Meilhac. Il a risqué aux Variétés une comédie-vaudeville en trois actes, les Demoiselles Clochart. La donnée en est toute neuve au théâtre : un homme, aux appétits duquel une existence ordinaire d’homme ne suffit pas, s’est incarné en