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France. — Oui, il faut au pays, il faut à la république elle-même un gouvernement vrai, digne de ce nom, sans quoi tout se décompose et périt, tout le monde en convient ; mais c’est ici justement qu’est le nœud du problème qui pèse si lourdement sur nous aujourd’hui, autour duquel on tourne sans oser ou sans vouloir le regarder en face. Les républicains, qui sont depuis si longtemps au pouvoir, ont beau mettre le mot dans leurs programmes, ils ne savent pas ce que c’est que la chose, ils semblent n’avoir pas même l’idée des conditions réelles de ce gouvernement qu’ils appellent, qu’ils se flattent toujours de constituer. Ils se figurent qu’ils n’ont qu’à mettre en commun leurs passions, leurs préjuges, leurs ressentimens, leurs convoitises, en donnant à cet amalgame anarchique un gérant responsable qu’ils appellent un ministère républicain, et en disant à ce gérant : « régnez, gouvernez dans l’intérêt républicain ! » Ils n’ont pas réussi et ils ne pouvaient pas réussir parce qu’on ne fait pas un gouvernement avec des passions et des chimères de parti, avec des idées désorganisatrices, avec des alliés qu’on ne relient qu’en leur livrant successivement toutes les forces, toutes les garanties sociales. À ce jeu perpétuel et équivoque, tous les ministères se sont usés sans obtenir rien de plus que des majorités incohérentes d’un instant, un pouvoir précaire, pour ne laisser après eux que quelques intérêts de plus compromis, les ressorts de l’état plus affaiblis, les conditions de stabilité et de prospérité diminuées. C’est l’histoire de tous les cabinets républicains, c’est l’histoire du cabinet d’aujourd’hui, on peut le dire d’avance, puisqu’il suit le même système, — et tout ce qui s’est passé depuis quelques années, tout ce qui se passe encore est comme la démonstration saisissante de cette vérité supérieure : ou ne fait pas un gouvernement, on ne le refait pas quand on l’a défait, avec des idées fausses, avec des emportemens de secte, avec de l’imprévoyance dans l’administration de tous les intérêts du pays, avec des complaisances pour toutes les factions.

Pourquoi donc le ministère qui s’est formé il y a un mois serait-il plus heureux que tous ceux qui l’ont précédé ? Quelle est cette politique dite nouvelle qu’il prétend inaugurer ? Elle se réduit, en définitive, à une certaine dextérité de tactique, à un certain art de faire les concessions qui flattent les passions dominantes dans une majorité troublée, à ménager beaucoup les partis extrêmes pour obtenir à son tour quelques ménagemens. Oh ! sans doute M. le président du conseil est un habile homme, qui ne dit pas toujours le dernier mot de sa pensée, qui sent bien qu’il ne peut pas absolument tout livrer. Il est vrai, sur deux ou trois points, depuis quelques jours, il a su saisir l’occasion de prendre position avec avantage, de défendre une majorité flottante contre ses propres tentations. Quand on a prétendu