Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/957

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. John Morley, est, en même temps qu’un des chefs du radicalisme anglais, un écrivain de talent, un brillant polémiste qui s’était déjà distingué comme lettré avant d’entrer dans l’action politique, et par la hardiesse de ses idées ou de son imagination il peut certainement laisser tout espérer aux Irlandais. Le vice-roi désigné pour l’Irlande est aussi un homme jeune et un nouveau-venu, un comte d’Aberdeen, petit-fils du vieux lord Aberdeen, qui fut souvent par sa modération, par sa droiture, une sorte d’arbitre dans les ministères anglais du temps passé et dont M. Gladstone fut plusieurs fois le collègue. M. Gladstone a toujours eu, dit-on, une bienveillance affectueuse pour ce digne descendant d’un éminent aïeul qui a été jusqu’ici peu mâle à la politique active, et en le choisissant d’un mouvement spontané pour la vice-royauté d’Irlande, il a cru sans doute trouver un représentant fidèle de sa pensée dans la phase nouvelle des affaires irlandaises. Lord Aberdeen est dans tous les cas un homme nouveau, comme lord Kosebery est un homme nouveau, comme M. John Morley et quelques autres sont des hommes nouveaux ; mais, quelles que soient les combinaisons personnelles qui aient prévalu dans ce ministère né d’hier et occupé encore à s’établir au pouvoir, il y a une question qui domine toutes les autres, que le nom seul de M. Gladstone ne suffit pas à résoudre : il reste toujours à savoir quelle sera réellement la politique du nouveau gouvernement libéral et dans les affaires d’Irlande et dans l’ensemble des affaires de l’Angleterre.

Le nom seul de M. Gladstone est un programme, dit-on ! C’est possible, on n’en sait pas beaucoup plus. Jusqu’ici les partis ont montré une certaine diplomatie, une certaine crainte de trop s’expliquer, de trop préciser leurs idées. Les conservateurs, après avoir paru hésiter, ont voulu sortir du vague, puisqu’ils y étaient obligés, aller à ce qu’ils considéraient comme la première nécessité, — la répression des crimes, — et ils sont tombés sur le coup. Les libéraux, de leur côté, ont déclaré qu’ils croyaient le moment venu de ne plus se borner à des palliatifs ou à des répressions à l’égard de l’Irlande, d’en venir à des réformes plus radicales, plus profondes, — et c’est ce qui leur a valu l’appui au moins temporaire des Irlandais ; mais cela ne dit pas en quoi consisteront les réformes, jusqu’où elles iront, où elles s’arrêteront. Les hommes sérieux n’en sont peut-être point à se douter qu’il ne sera pas si aisé de concilier les droits ou les aspirations de l’Irlande avec ce qu’on appelle toujours les droits, les intérêts de l’intégrité britannique. M. Gladstone lui-même, dans le message qu’il vient d’adresser au Midlothian pour se faire réélire, ne laisse pas de garder quelque réserve. Il y a, à ce qu’il assure, trois grandes questions irlandaises : l’ordre social, le règlement de la question agraire et enfin un désir largement répandu d’un self government s’étendant aux affaires locales, « mais nécessairement subordonné sous tous les