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et en contiennent l’idée mère. On voit, par ces exemples, que l’art devançait le métier ; l’architecte concevait des plans que la main-d’œuvre ne réalisait qu’imparfaitement. C’est cette insuffisance de l’exécutant et de l’outil qui probablement explique aussi la première de ces contradictions. On faisait le nécessaire pour construire une forteresse solide et impossible à escalader. Quant aux constructions intérieures, on y consacrait moins de temps et de dépenses; on s’y contentait du bois, de la brique crue ou mal cuite et des terrasses, c’est-à-dire de matériaux médiocres, sauf à les rehausser par des enduits et par des peintures appropriées.

Les fouilles de Tirynthe ont sans doute été bien faites. Je regrette pourtant qu’on ait fait disparaître de l’acropole une petite église byzantine déjà ruinée. Comme les chrétiens d’autrefois bâtissaient ordinairement, sinon toujours, leurs chapelles sur les points déjà consacrés par des religions païennes, celle-ci était l’unique témoignage qu’un ancien culte eût existé sur cette acropole. A quel saint cette chapelle était-elle dédiée? c’est encore un point qu’il eût été bon d’élucider, s’il est possible; car le saint moderne répond le plus souvent à l’ancienne divinité du lieu. Ici nous la connaissons, cette divinité : c’était Hercule ; la tradition le faisait naître à Tirynthe ; c’est d’ici qu’il partait pour accomplir ses travaux. Il y a là toute une légende des plus curieuses, légende qui se lie à une grande portion de la mythologie grecque et revêt dans tous ses détails un caractère solaire bien marqué. Nous ne voulons pas entraîner nos lecteurs dans les dédales infinis des anciens mythes. Nous rappellerons seulement que toutes les histoires locales de la Grèce commencent par des légendes mythologiques ; les dieux païens sont les personnifications des forces de la nature, de ses phénomènes, de ses lois; les héros ou demi-dieux sont des formes secondes des grandes divinités. C’est là un principe de science qui semblait n’avoir plus besoin de démonstration. Si l’on veut savoir à quoi s’en tenir sur les légendes de Tirynthe, on peut étudier les tableaux généalogiques dont le savant Heyne a fait suivre son édition d’Apollodore. On y verra que Persée, petit-fils du Jour, est un personnage solaire, comme Hercule; que son oncle Prœtus, prétendu fondateur de Tirynthe, est un mythe solaire. On s’assurera, par une simple analyse linguistique, que les Cyclopes sont des êtres dérivés du dieu-soleil et que la Lycie, d’où ils sont venus, est le même séjour de la lumière que celui où Persée voyageait sur un cheval ailé. Ces forts Cyclopes, nous savons leurs noms : ils s’appelaient Argès, Stéropès et Brontès, ce qui veut dire en bon grec Éclair, Foudre et Tonnerre. s’ils ont été des hommes réels, il faut avouer que leurs parrains leur avaient agréablement choisi des noms ; à moins que ceux de Tirynthe n’en aient porté d’autres, comme Polyphème l’Illustre, Hyperbios le