Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/111

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la baraka, l’absolution et la bénédiction du cheik. Le mokaddem enseigne la doctrine de l’ordre, reçoit le serment de discrétion et d’obéissance des membres postulans; il leur révèle le deker, les initie. Comme le cheik, il se fixe, s’il n’est pas mokaddem missionnaire, dans une zaouïa ; les services qu’il peut rendre sont en proportion de son influence ; éloquent et savant, il n’est pas rare de lui voir acquérir une popularité qui fait de lui un véritable chef; d’autres mokaddems subalternes, si les khouans sont nombreux, le secondent dans sa mission. Une ou plusieurs fois chaque année, dans certaines villes une fois par semaine, le cheik réunit les mokaddems dans des assemblées où il examine leur administration, leurs comptes, nomme ou répudie un membre, approuve ou blâme. L’assemblée dissoute, les mokaddems agissent sur les khouans dans le sens et dans la mesure qui leur sont prescrits, leur portent des chapelets, des amulettes que certains d’entre eux mettent sans scrupule aux enchères et vendent au plus offrant dans l’intérêt commun ; puis ils reprennent leur propagande.

Dans la plupart des ordres, les femmes sont admises comme les hommes. On les initie à part; leur affiliation n’en est pas moins complète. Elles sont désignées sous le nom de khouatat, sœurs : une sœur peut exercer, pendant la minorité ou l’absence du cheik, une sorte de régence.

L’initiation, dont nous n’avons parlé qu’à peine, change de forme, comme le deker, avec chaque secte, et souvent même dans chaque branche d’une secte. Elle est quelquefois précédée d’un noviciat et rendue très lente, très compliquée ; les néophytes ne l’obtiennent que par degrés. La première des conditions imposée, après les épreuves très variables du jeûne, des veilles, de la mortification et des prières, est le serment d’obéissance, obéissance passive, absolue : « être entre les mains du cheik comme le cadavre entre les mains du laveur; » et, en effet, le cheik fait disparaître, comme autant de souillures morales, le raisonnement, l’initiative, la pensée de l’être qui se livre à lui ; être qui devient entre ses mains non pas un cadavre, mais un instrument aveugle que le fanatisme peut conduire à l’excès du bien ou du mal, et dont on doit être maître d’user et d’abuser : les kadryas n’ont jamais prêché la guerre contre les chrétiens ni multiplié les quêtes et les contributions ruineuses, mais ils ont toujours demandé à leurs adhérens l’esprit de renoncement qui fortifie la discipline. Le frère doit mépriser la souffrance, dédaigner la grandeur et les richesses, être prêt à la mort; la charité, l’esprit d’union envers ses semblables lui sont commandés: « Mon enfant, dit le cheik, tu serviras tes frères avec dévoûment; aime ceux qui les aiment, déteste ceux qui les haïssent ; car vous ne formez tous qu’une seule et même