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ne manqua pas en effet d’y continuer ses polémiques et, détail important, il s’y lia avec tous les chefs d’ordre de l’extrême Orient dont il prit, suivant son système, les différens dekers. C’est à La Mecque sans doute, entre deux exils de ce cheik, qu’il connut Ben Dris. Il ne réussit pas plus que lui à s’y maintenir et il prit le parti de fonder dans le désert, au Djebel-Koubis, une zaouïa où il espérait attirer et grouper autour de lui les mécontens. Mehemet-Ali n’avait pas hésité à ordonner au Caire et dans toute l’Egypte le massacre des ouahbites, cette Saint-Barthélémy de l’islam; il n’était pas homme à tolérer longtemps dans son voisinage un ennemi, fût-il orthodoxe; il sut lui rendre le séjour dans sa retraite impossible : les haines religieuses l’y poursuivirent et sa vie même fut menacée, Senoussi se décida à revenir sur ses pas. Il eut l’audace de traverser le Caire où ses nouvelles prédications avaient fait grand bruit : il y rencontra cette fois des chefs d’ordres de l’Afrique occidentale, du Maroc et de l’Algérie, qui, loin de le trahir, l’accueillirent avec enthousiasme et acceptèrent son deker. Alors seulement, après plus de dix ans, il mit à profit les relations et les appuis qu’il s’était ménagés ; il tourna les yeux en arrière, cherchant, parmi les pays qu’il avait traversés, quel milieu était à la fois le plus sûr et le plus accessible à la contagion de sa doctrine. Il choisit les côtes abandonnées de la Cyrénaïque, débarqua à Benghazi, et, de ce port, descendant vers le sud-est, il fonda au Djebel-Laghdar la première zaouïa de l’ordre des senoussya ; à dater de ce jour, commence la seconde période de sa vie (1843). L’apostolat était terminé, il devait consacrer les dernières années qui lui restaient à l’organisation de l’ordre.

Plus tard il se trouva encore trop près de la mer et, sa propagande s’étant répandue comme si le vent en eût dispersé partout les germes féconds, il s’établit dans la même direction sud-est, mais à trente-deux jours de marche de Benghazi, au désert, près des oasis de Syouah, en un point appelé Djarboub.

Nul choix ne pouvait être meilleur : les populations au milieu desquelles il allait s’isoler du monde chrétien, loin de toute surveillance et de tout contrôle, étaient à la fois denses et disposées à recevoir son enseignement ; bien plus, et c’est encore, — un libre accès s’ouvrant à toutes les sectes de l’islam, — une des conceptions les plus intelligentes de Senoussi, il se mettait ainsi en communication directe avec toute la moitié nord de l’Afrique, avec la Haute et la Basse-Egypte, avec le Soudan, l’Algérie, le Sénégal et le Maroc, par les caravanes qui traversent continuellement Syouah et vont soit à l’est, jusqu’au Caire, soit au sud à Murzuk, au Tibesti, au Ouadaï, au pays d’Aïr, au Bornou, soit à l’ouest en Tripolitaine