Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/129

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

là aussi que sont les canons, les fusils, les munitions; là pourtant n’est point le cœur du senoussisme, car on s’y attend toujours, malgré la distance, à quelque tentative de l’Occident, et, suivant ce système qui consiste à faire le vide autour des chrétiens, on y est prêt à fuir devant eux d’un jour à l’autre ; une police que les Arabes eux-mêmes, — et ils sont nos maîtres sur ce point, — qualifient d’incomparable est sans cesse en observation ; des troupeaux de méharis sont rassemblés dans l’oasis et transporteraient, à la première alerte, le chef de l’ordre, les armes, les trésors chez les senoussya du Soudan.

Senoussi vécut assez longtemps pour achever son œuvre et la laisser quand il mourut, en 1859, déjà complète à ses successeurs. Ceux-ci lui élevèrent avec ses disciples, dans la zaouïa mère de cet ordre où l’architecture est en grand honneur, un tombeau monumental, disent les pèlerins, et que ceux de Chadeli ou d’Abd-el-Kader sont loin d’égaler. Deux fils recueillirent son héritage : à l’aîné il avait eu soin de donner le nom de mahdi, qu’il se refusa sagement à prendre pour lui-même. s’il avait commis cette faute, il aurait soulevé dès le début les rivalités qu’il s’était donné pour mission de faire disparaître ; il se contenta de réunir en un même corps des forces éparses, et pour y arriver dans la mesure qu’il atteignit, il n’eut pas trop d’une vie entière de persistance et de tribulations. Cheik-el-Mahdi, tel est le nom de son fils, hérite à la fois de ces forces et de son prestige. s’il est lui-même un homme habile ou savant, sa puissance peut devenir une arme formidable, car tout est préparé pour que les Arabes voient en lui l’élu de Dieu ; il a reçu l’éducation qu’exige ce rôle, il réunit les signes qui feront reconnaître des hommes le Messie, — les yeux bleus, une loupe entre les deux épaules, une dent d’or, son cheval est issu de Borak, etc. il dépend donc de lui de choisir ou de différer le jour du soulèvement général. « Il attend l’heure, » disent les musulmans, et dans leur pensée cette heure est proche ; nous venons d’entrer dans le XIIIe siècle de l’hégire: les premières années de ce siècle doivent être marquées, suivant les prédictions, par une renaissance de l’islam ; celui que Dieu devait créer dans ce dessein est donc né ; en vain un agitateur a-t-il profité des fautes du gouvernement en Égypte pour se présenter à sa place; la voix du faux mahdi n’a été entendue qu’autour de lui : « Il a vaincu les Anglais, non parce qu’il était fort, mais parce qu’ils étaient faibles; ils se sont détruits eux-mêmes,» tel est le langage des senoussya ; car, s’ils laissaient s’élever en dehors d’eux un libérateur, l’œuvre de cohésion qu’ils ont entreprise s’effondrerait, à moins qu’ils ne se résignent à marcher devant lui; mais non; ce libérateur est dans leur sein: El-Mahdi-ben-Senoussi