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n’entrait pas dans ces distinctions constitutionnelles. Nièce d’un grand roi, élevée dans un état où la monarchie était absolue malgré la philosophie de son souverain, elle croyait très sincèrement monter sur le trône et n’eût peut-être pas consenti sans cette conviction à devenir la femme du stathouder. Le musée royal de La Haye possède deux portraits de la princesse d’Orange peints à deux époques différentes. Dans le premier, la princesse, toute jeune encore, paraît un peu naïve sans beaucoup de franchise et quelque peu raide sans beaucoup de tenue. C’est une Allemande assez gauche, bien élevée et mal habillée, qui ne sait pas porter encore ses vêtemens de femme et qui semble gênée par la grande robe verte que vient de lui mettre une de ses dames d’atours. Dans le second, œuvre remarquable de Tischbein, les années sont venues, la princesse n’est plus une enfant, ses traits se sont formés ; elle est devenue belle, d’une beauté sévère, mais non sans charmes. Son visage impérieux et digne a de la grandeur, mais on y devine plus d’autorité et d’obstination que de douceur et de bonté. C’est une femme et une mère, qui a vécu et qui a souffert, qui croit connaître les hommes et qui les méprise. Elle semble contempler, non sans dédain, le portrait qui fait face au sien et qui représente son mari. Successeur, mais non descendant des héros qui avaient servi la république, tout en voulant l’asservir, le prince d’Orange avait pu remplir leurs charges sans hériter de leurs vertus. Sir James Harris, ministre d’Angleterre et serviteur passionné de la cause orangiste, affirme dans une dépêche « qu’il est impossible de voir, sans être frappé jusqu’à l’abattement, le manque d’énergie et de vigueur d’esprit du stathouder. Un tel homme ne peut gagner à aucun jeu. » Frédéric II lui-même s’étonne de « l’entêtement et de l’imbécillité » de son neveu. La femme du stathouder « ne prononce jamais son nom qu’avec l’apparence du respect, mais ne se fie pas plus en lui que lui en elle » et va jusqu’à dire à sir James Harris dans un moment d’abandon : « Il peut m’arriver de souhaiter au prince des vertus qu’il n’a pas et de désirer le voir privé de beaucoup de défauts, mais je cache ces sentimens dans mon cœur. » « Il faut prendre l’esprit de son état, » écrivait un jour Frédéric II à Voltaire ; Guillaume V ne sut jamais prendre l’esprit de son état.

L’éducation du prince l’avait mal préparé à remplir son rôle. Orphelin à trois ans par la mort de son père, il avait été élevé par sa mère, Anne d’Angleterre, gouvernante légale des provinces pendant la minorité de son fils. Passionnément attachée à sa contrée natale, la fille de George II avait tout fait pour maintenir et grandir aux Pays-Bas l’influence britannique.

Quand, en 1776, M. de La Vauguyou fut envoyé à La Haye par la cour de Versailles, la France pouvait encore compter dans les provinces