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Montmorin parlait dans une lettre de « l’humeur exaltée du roi de Prusse. » Un fait semblait certain, quelle que fût l’humeur du roi de Prusse, c’est qu’il fournissait indirectement des secours à son beau-frère. On pouvait remarquer tous les jours, sur la frontière de Gueldre, l’arrivée de paysans prussiens qui venaient demander du service dans l’armée orangiste. Par un effet soudain de la grâce, ces paysans, au bout de quelques heures, prenaient une attitude militaire et connaissaient mieux l’exercice que leurs camarades.

Le moment était venu de prendre des mesures énergiques. Le 7 juin, les députés d’Amsterdam proposèrent aux états de Hollande de sauver la république par une résolution virile. Les états nommeraient une commission de cinq membres pris dans leur sein ; cette commission recevrait les pouvoirs les plus étendus. C’était des dictateurs qu’il s’agissait de créer, mais l’hésitation n’était pas possible. La proposition d’Amsterdam fut adoptée. Le 16 juin, M. de Vérac annonçait à Montmorin la nomination de la commission souveraine. M. Camerling devait y siéger au nom d’Haarlem, M. Block pour Leyde, M. van Toulon pour Gouda, M. van Foreest pour Alkmaar ; Amsterdam avait pour représentant M. Jean de Witt. Ce dernier avait été choisi malgré sa jeunesse (il n’avait pas trente-deux ans). L’on avait pensé, pour remplir ce poste, à M. de Visscher, aussi conseiller de la ville, qui plaisait fort aux démocrates. Le rhingrave de Salm s’indigna de ne pas le voir nommé : « l’exclusion de l’honnête de Visscher de la commission est un fait certain de l’esprit qui y régnera, » écrivait-il. Cette commission n’est autre chose qu’une fabrique du pensionnariat qui a formé violemment le projet de m’exclure de toute sorte d’affaires. Montrez ma lettre à tous nos véritables amis, avertissez-les du danger commun... Je me circonscrirai dans les murs d’Utrecht, j’y périrai. » — Tandis que le rhingrave se vantait fort de ses sentimens démocratiques et de son héroïsme futur, il ne négligeait ses rapports ni avec la cour de Versailles, ni même avec les orangistes. Le voisinage des troupes stathoudériennes lui permettait d’entrer en conférences avec les familiers de Guillaume V. Le comte de Callemberg venait souvent le voir. On assure que le rhingrave lui dit en jour en le congédiant : « Croyez que je n’ai pas tellement le goût du citron que je ne m’accommode très bien aussi de l’orange. » Auprès de M. de Bourgoing il tenait un tout autre langage : « Le seigneur, prince d’Orange, a mis ma tête à prix. Une bande de fripons rôde autour de moi pour m’assassiner ou m’enlever. » « M. de Salm voudrait tout commander, la partie politique comme la militaire, écrivait Bourgoing à Montmorin. Son inquiète activité nous prépare bien des embarras. »

Le premier acte de la commission souveraine des états eût dû