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Amsterdam. j’ai appris à Rotterdam que Gorcum était rendu. » A La Haye, on attendait l’arrivée des Prussiens pour le lendemain; la populace parcourait les rues, chamarrée de rubans orange, insultant les passans qui n’arboraient pas ce signe de joie. Le grand-pensionnaire, M. de Bleiswyck, appelait, à sept heures du matin, le chargé d’affaires de France pour s’entendre avec lui ; mais son discours « portait sur des principes si contradictoires, » que son interlocuteur l’accusait « de perdre la tête ou de tâcher d’ajuster sa conduite sur les circonstances. »

M. de Bleiswyck n’était pas le seul à perdre la tête, et bien des gens se préparaient à ajuster leur conduite sur les circonstances. L’évacuation soudaine et inattendue d’Utrecht ; la fuite du rhingrave; la reddition, au premier feu, de Gorcum, qui, bien défendu, eût pu tenir trois semaines, et qui couvrait la Hollande; des coups si brusques, si répétés, si terribles, avaient troublé toutes les âmes. Amsterdam seul restait debout dans ce désastre. On y préparait tout pour la résistance. Le rhingrave de Salm se présenta devant la ville ; on lui en ferma les portes comme à un traître. Il disparut soudain de la scène sans que l’on pût savoir où il avait caché sa honte. Utrecht eût pu résister trois semaines d’après M. de Bellonet, l’un des officiers français envoyés pour le détendre. Le rhingrave l’avait abandonné sans combattre. Revêtu, grâce à ses intrigues, d’un commandement suprême, qu’il feignit de n’accepter qu’à regret, il avait préparé, de longue main, une retraite qui ressemblait trop à une trahison. Dès le mois d’août, le bruit s’était répandu que les commissaires de Woerden, soucieux seulement du sort de la Hollande, avaient envoyé au rhingrave l’ordre formel d’évacuer Utrecht. La commission avait protesté contre ces allégations. Le 13 septembre, le rhingrave lui donna connaissance de la marche en avant de l’armée prussienne. Les circonstances étaient critiques; les communications entre Utrecht et Woerden deviendraient bientôt impossibles, un général en chef ne pouvait attendre sans cesse des instructions qui ne lui parviendraient pas peut-être. Le rhingrave de Salm insista, il paria de se retirer. Les commissaires, vu le danger pressant, lui remirent une sorte de blanc-seing, non daté, qui lui permettrait de se diriger suivant les cas. Le rhingrave n’attendit pas pour s’en servir. Il se retira sans combattre, et sa retraite précipitée se changea bientôt en déroute. « Il est impossible de concevoir et d’exécuter un projet comme notre évacuation d’Utrecht, a dit M. de Frescheville, l’un des officiers envoyés en Hollande ; on nous a laissés, nous autres Français, dans la ville sans nous faire marcher et sans relever les postes. »

La joie des stathoudériens n’était pas moins grande que le trouble des patriotes, mais le désordre n’y perdait rien. M. de Valence, l’un