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camp est empâté lourdement. Exercices, parades, sentent les scènes militaires de l’Hippodrome. Les refrains de la cavalerie et de l’infanterie, le duel vocal des cantinières, ces pantomimes, ces onomatopées ronflantes, ne valent que par leur facture ingénieuse. La scène d’ivresse est longue et triste ; le quintette n’égale pas le quatuor de Rigoletto. L’assourdissant finale de la révolte contraint à marcher de front quatre motifs longtemps rebelles et péniblement soumis : ces fifres sont criards et ces clairons vulgaires. Où donc est le Prophète domptant ses soldats mutinés, le Prophète inspiré, rayonnant sous sa robe blanche et sa cuirasse d’acier? Où donc est le génie, sans lequel toute science est vaine ? Le musicien s’enfle et se travaille inutilement. Æstuat infelix! Il n’épargne ni la complication, ni le bruit, mais il n’atteint plus ni à l’ordre ni à l’harmonie. Il assène des coups terribles sans que jaillisse la flamme.

Sauf un ravissant duetto, le troisième acte est ennuyeux. Les divagations de Catherine sont pires que celles de Dinorah. Meyerbeer abuse dans cette scène du procédé fastidieux des réminiscences. Cette révision du premier acte a quelque chose d’artificiel et de monotone ; elle ne provoque chez Catherine que des efforts de virtuosité, sans un éclair de passion : prouesses du gosier, qui ne valent pas un cri du cœur. Et puis, quel enfantillage que ce trio dialogué d’une chanteuse et de deux flûtes, renchérissant toutes trois d’agilité et d’acuité ! Meyerbeer, qui créa pour l’Opéra de si nobles héroïnes, n’a fait chanter à l’Opéra-Comique que des poupées à ressorts. A ressorts d’acier, par exemple ; car le rôle de Catherine, un des plus ingrats du répertoire, est aussi l’un des plus difficiles. Pour en sauver la sécheresse, pour se faire un jeu d’une telle épreuve, il fallait cette artiste et cette virtuose qui fut Caroline Duprez.

Qu’on ne nous accuse pas de manquer à la mémoire de Meyerbeer, si nous avons donné dans son œuvre le dernier rang à l’Etoile du Nord et au Pardon. Dans ces deux partitions, les qualités du maître sont certainement moindres et ses défauts pires. Incapable de se plier à l’opéra comique, Meyerbeer voulut le plier à lui ; il eut tort :


L’armure qu’il portait n’était pas à sa taille,


Aussi pensa-t-il la briser.

Avec Halévy, avec Meyerbeer lui-même, il semble que l’opéra comique se complique et s’alourdisse. Nous allons le voir s’alléger, reprendre l’aisance et le naturel, ces dons heureux qu’il avait jadis,