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expliquée un caractère d’hostilité contre les croyances d’une partie de la population française. Elle trouve sa signification dans ces manuels civiques qui ont la prétention de tout renouveler et dans les livres où l’on prend soin de supprimer le mot de Dieu pour ne pas gêner la liberté des enfans! En mettant les choses au mieux, c’est la neutralité telle que l’interprète M. le rapporteur du sénat, qui ne veut pas bannir Dieu des écoles, mais qui veut qu’on enseigne le dieu de la philosophie, le dieu de la raison, le dieu des bonnes gens, qui prétend qu’on substitue à l’ancienne trinité la trinité républicaine. C’est aussi, si l’on veut, la neutralité telle que la comprend M. le ministre de l’instruction publique, qui a ses théories sur les dogmes, sur le rôle du sentiment, et qui ne se défend pas de quelques facéties sur les superstitions cléricales. C’est ce qu’on entend aujourd’hui par la neutralité religieuse dans les écoles. —.Mais enfin, dira-t-on, l’état laïque, républicain, enseigne ce qu’il veut; il n’empêche pas un autre enseignement, qu’on n’appellera plus l’enseignement libre, — le mot est supprimé, — qu’on appellera désormais l’enseignement privé. Oui, sans doute, les Français croyans et chrétiens, comme c’est leur devoir légal, contribueront à payer chèrement un grand service d’enseignement public qu’ils considèrent comme hostile à leur foi, — et puis ils seront libres d’organiser à leurs Irais un autre enseignement, qui restera d’ailleurs, sans garanties, sous la surveillance jalouse de l’enseignement officiel. C’est là ce qu’on appelle la liberté, l’équité, l’égalité des charges !

Cette loi, si étrangement marquée du sceau de l’esprit de parti ou plus encore de l’esprit de secte, elle n’a pas trouvé seulement de puissans et ardens adversaires parmi des conservateurs comme M. Chesnelong, M. Buffet; elle a rencontré de sages et éloquens contradicteurs parmi des hommes comme M. Bardoux, qui a fait ce qu’il a pu pour arrêter au passage quelques-unes des dispositions les plus criantes, pour sauver quelques principes libéraux, et qui n’a pas réussi. Vainement M. Bardoux a montré le danger d’aggraver sans cesse les divisions, de « couper le pays en deux, » et a essayé de faire accepter quelque adoucissement en réservant pour les conseils municipaux le droit d’avoir une opinion sur la « laïcisation » de leurs écoles. C’était une atténuation bien simple qu’il demandait au nom de la liberté des communes, au nom de la paix, et même dans l’intérêt de la république : il a échoué comme s’il n’était qu’un simple réactionnaire! Vainement M. Bardoux a tenté encore d’obtenir une organisation meilleure, plus équitable, du conseil départemental, où l’enseignement privé, à peine représenté, reste sans garanties: il a été tout au plus écoulé ! l’esprit de parti ne souffre aucune contradiction, n’admet pas qu’on lui parle de garanties, de liberté. Il accepte tout pour la domination !