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fait des tuniques de peau et les en revêt. Leur union donne naissance à Qaïn, puis à Habel : l’un, pasteur, l’autre, laboureur. Tous deux offrent des sacrifices à Iahvé, qui agrée ceux de Habel et n’agrée pas ceux de Qaïn; d’où la jalousie des deux frères et le meurtre de l’un d’eux.

Les Qaïnites peuplent le monde. Qaïn bâtit la première ville et l’appelle du nom de son fils, Hénoch. Nous sommes ici encore sur le terrain de la haute mythologie. Déjà, dans cette partie, le narrateur jéhoviste fait des emprunts considérables au livre des Légendes[1] ; il lui prend en particulier des rythmes du caractère le plus original.

La part du jéhoviste est aussi très difficile à discerner de celle du livre des Légendes dans le singulier récit des fils de Dieu (c’est- à-dire des anges) devenant amoureux des filles des hommes, amour étrange d’où naît une race de géans, sur lesquels couraient de vieux récits épiques. Le caractère sombre et pessimiste de notre écrivain, sa tendance à voir partout le péché, se retrouvent en ce qui suit. Le monde est mauvais : de lui-même il va au mal. La corruption du monde étant arrivée à son comble, Iahvé se repent d’avoir créé l’homme et résout de l’exterminer. Noé seul trouve grâce à ses yeux. Ici, la différence avec le livre des Légendes se laisse assez clairement apercevoir. Le livre des Légendes connaissait Noé, mais il n’avait pas de déluge. Son Noé était l’inventeur de la vigne et du vin, « ce grand consolateur qui console l’homme des peines qu’il éprouve à travailler la terre. » c’est sûrement le rédacteur jéhoviste qui en a fait un juste et le sauveur de l’humanité[2].

Le récit du déluge tel que l’écrivit le rédacteur israélite nous est conservé tout entier dans la narration singulièrement prégnante du texte actuel. Noé, au sortir de l’arche, construit un autel à Iahvé et fait un sacrifice d’animaux dont Iahvé hume la fumée, ce qui le réconcilie avec le genre humain.

Nous n’avons que des extraits des pages qui suivaient : une légende chaldéenne, celle de Nemrod, héros chasseur et fondateur de Babel, était sans doute un emprunt à ce cycle de fables sur les géans dont il a été question plus haut. Là se trouvait aussi ce curieux récit sur la construction de la tour de Bel et la confusion des langues, récit rythmé, plein d’assonances, de jeux de mots et où respire une haine antique contre Babylone. On sent un emprunt fait soit au livre des Légendes, soit à quelque autre source à nous inconnue.

  1. Voir la première partie (Revue du 1er mars).
  2. Henoch parait un autre Noh, arrêté dans sa formation et détaché par la légende pour un autre emploi.