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Comment la date d’un pareil ouvrage est-elle si incertaine ? Comment le nom de l’homme qui écrivit ce chef-d’œuvre est-il inconnu ? La même question se pose pour les poèmes homériques, pour presque toutes les épopées, pour les Évangiles, pour toutes les grandes œuvres sorties de la tradition populaire. La rédaction des Évangiles fut, assurément, dans l’histoire du christianisme, un fait capital. Or, à l’époque où ces petits écrits parurent, on ne s’en aperçut pas dans le sein du christianisme. Les livres de ce genre ne sont rien pour la première génération, qui sait les traditions d’original. Ils deviennent tout, le jour où la tradition directe est perdue et où les écrits sont les seuls témoins du passé. C’est ce qui fait que rarement ces sortes de rédactions sont uniques. Presque toujours, la fixation du fond traditionnel s’opère simultanément sur plusieurs points à la fois, sans que les rédacteurs aient la conscience réciproque de l’œuvre multiple qui s’accomplit. Nous venons de voir la tradition du Nord arriver à une forme définitive. Tâchons de nous représenter comment, vers le même temps, la question des vieilles histoires se posait à Jérusalem.


III.

Nous avons déjà fait remarquer que le mouvement religieux était à Jérusalem bien plus calme et plus lent que dans le royaume d’Israël. Le besoin de recueillir les traditions s’y faisait moins sentir. On n’y avait rien qui ressemblât au livre des Légendes d’Israël ni au livre des Guerres de Iahvé. Ces livres, propriété exclusive du Nord, n’avaient probablement pas pénétré à Jérusalem. La rivalité des deux pays s’y opposait ; il faut ajouter que le nombre des exemplaires d’un livre était alors si peu considérable que chaque livre était en quelque sorte attaché au sol qui l’avait vu naître. Nous pensons également que la rédaction de l’Histoire sainte jéhoviste ne fut pas connue à Jérusalem avant le dernier siècle du royaume d’Israël. L’enseignement oral suffisait. On avait cependant le sentiment vague que le temps de rédiger ces sortes de documens était venu ; on savait probablement qu’Israël était plus avancé à cet égard, qu’il avait accompli sa tâche historique et s’était, si l’on peut dire, mis en règle avec ses souvenirs.

Les deux royaumes avaient un grand nombre de traditions communes, toutes antérieures à leur séparation sous Roboam. Jérusalem possédait, de plus, des documens que ne connaissait pas le Nord. On avait beaucoup écrit sous David et sous Salomon, Outre les pages authentiques et contemporaines des événemens sur David et ses gibborim, outre les listes et les récits des mazkirim, on possédait des toledoth ou généalogies, mises par écrit assez anciennement,