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et de retours ; 3° dans le cas de contradiction formelle, sacrifier nettement un des deux récits, ou, quand la possibilité s’en offrait, faire deux histoires avec une. Si l’unificateur avait cru que ses deux textes étaient sacrés, il n’est pas admissible qu’il en eût jeté au rebut des parties si considérables; il n’est pas admissible surtout qu’il eût laissé dans sa rédaction des contradictions aussi fortes que celles qui subsistent, le principe le plus élémentaire de l’esprit humain étant qu’un fait ne peut pas s’être passé de plusieurs manières à la fois. La méthode de l’unificateur fut celle de la plupart des compilateurs orientaux. Il visa surtout à perdre le moins possible de ses originaux, tout en ne gardant qu’un récit unique. Les historiens arabes arrivent au même résultat d’une manière plus commode en rapportant successivement les opinions diverses : « Il y en a qui disent que... D’autres disent que... » et en terminant par la phrase consacrée : Allah allam, « Dieu sait mieux ce qui en est. » Le narrateur biblique ne laisse jamais ouverte l’option entre des partis divers; mais il place souvent, les uns à côté des autres, ou à quelque distance les uns des autres, des détails qui s’excluent ; si bien que de tels récits ne sont réellement intelligibles que si on les imprime sur deux colonnes ou en distinguant les rédactions par des caractères différens. La précision d’esprit n’existait chez le dernier rédacteur à aucun degré, et il n’était dominé par aucune préoccupation d’art. L’Histoire sainte qui résulta de ces coups de ciseaux et de ces sutures grossières fut une œuvre assurément mal faite et incohérente. Il faut dire que, si l’unificateur avait plus habilement accompli sa fusion, nous ne verrions plus la diversité des sources. Le texte s’offrirait à nous comme une matière parfaitement homogène, sur laquelle la critique n’aurait aucune prise. Dans l’œuvre telle que nous l’avons, au contraire, les morceaux existent à l’état non digéré; nous pouvons encore les retrouver, puis, jusqu’à un certain point, les rapprocher et recomposer ainsi les élémens primitifs.

Pour dresser une Histoire sainte qui pût remplacer avec avantage les deux récits parallèles, l’unificateur n’avait-il pas quelques autres documens, dont il ait cru devoir tenir compte dans son œuvre d’harmonisation? Nous avons vu que le jéhoviste, en composant son livre, eut devant les yeux deux écrits plus anciens, les Légendes patriarcales des tribus du Nord et le Iaschar ou Livre des Guerres de Iahvé. Il est presque certain que l’unificateur et, en général, les lettrés d’Ezéchias possédaient encore ces deux livres. Nous en aurons bientôt la preuve pour le Iaschar. Quant aux Légendes patriarcales du Nord, on est presque obligé d’admettre que l’unificateur les avait entre les mains en même temps que la rédaction