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on ne le fut plus, ou du moins on ne le fut plus de la même façon. Dans ce XVIIIe siècle, à jamais mort, on restait jeune, même en vieillissant ; on gardait la grâce, l’enjouement, l’égalité d’humeur jusqu’à l’heure dernière : et, quand cette heure était venue, on ne cherchait pas à désespérer les autres de vivre. Les trois années où régna le jacobinisme modifièrent profondément le tempérament national, et l’esprit français subit comme une déviation. La majorité du pays, on peut l’affirmer, abhorrait la Convention, mais était abattue par l’effroi et un profond découragement. Les coups définitifs que portèrent à l’ancien régime aristocratique et féodal les décrets de la terrible assemblée tombèrent dans le silence.

Il est trop vrai que l’exercice du pouvoir absolu apporte aux hommes une jouissance si extraordinaire qu’elle enivre : quand les fumées de cette ivresse sont dissipées, les moins sectaires, les plus sages, comme Carnot, déclarent : « qu’il y avait des journées tellement difficiles, qu’on ne voyait aucun moyen de dominer les circonstances ; ceux qu’elles menaçaient le plus personnellement abandonnaient leur sort aux chances de l’imprévu. »

La haute bourgeoisie était impuissante à renverser un pareil régime, si les égorgeurs eux-mêmes, en se divisant, n’y eussent mis un terme. Elle montra du moins jusqu’à la fin son antipathie et son dégoût. Plus d’un de ces modérés paya de sa tête l’improbation éclatante de la journée du 31 mai. Le courant de violente aversion grossissait sourdement en province. Ce n’était plus à Paris que se trouvait le véritable esprit public, nous voulons dire le juste sentiment de l’intérêt et de l’honneur. L’amour des désordres ou des plaisirs, la soif des émotions ou de l’agiotage, avaient attiré dans la capitale une quantité considérable d’hommes venus de tous les points du territoire, et sa physionomie en était changée.

Malgré toutes les précautions dictées par la frayeur, l’antipathie ou la haine des familles bourgeoises contre le comité du salut public étaient si unanimes, qu’il y avait peu de villes où des décrets pussent être exécutés de façon à répondre aux intentions de la tyrannie jalouse qui les avait conçus. Les actes de soumission n’étaient que dans la forme. Du reste, il ne faudrait pas croire que ces âmes ainsi troublées se détachaient de 89. Les principes conservaient leur pureté même à travers les plus terribles forfaits. Ils poursuivaient rapidement leurs conséquences, inflexibles comme le temps. Les grands événemens dans lesquels l’esprit humain s’agite et progresse ne se répartissent pas en périodes régulières et symétriques. La flamme désintéressée que la bourgeoisie avait communiquée à la France, ses enfans la sentaient brûler en eux devant l’ennemi. Phase chevaleresque de ces premières et inoubliables