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Jamais parole plus autorisée et plus sévère que celle du rapporteur Boissy d’Anglas ne s’était fait entendre contre la dictature jacobine. La bourgeoisie pouvait donc espérer, lorsque le 25 octobre 1795, la Convention se sépara, que la Constitution de l’an III lui permettrait, en ramenant la modération et l’équilibre, de reprendre les conditions de travail et de prospérité dont elle avait tant besoin. Les espérances furent encore déçues. Elle n’eut, comme la France, d’autre consolation que la victoire, et n’entendit bientôt qu’un seul nom, celui du jeune héros des campagnes homériques de l’armée d’Italie.


III.

L’histoire du directoire est tout entière dans la lutte de deux partis. L’un, issu de la Convention, s’était ménagé le pouvoir, en rendant obligatoire l’élection de deux tiers de ses membres, et était résolu pour rester aux affaires à tout oser, même à suspendre la liberté. L’autre, sorti des rangs de la bourgeoisie, était fatigué du joug des terroristes et voulait le briser à l’aide du droit commun. Le premier s’appuyait sur les débris des clubs ou des sections et sur la force armée ; le second puisait son énergie dans l’opinion publique qui, de plus en plus, ressentait l’horreur des violences. Ceux qui avaient immolé Robespierre partageaient au fond ses principes, mais s’étaient lassés plus tôt que lui de la terreur. L’autre parti avait envoyé au conseil des anciens et au conseil des cinq cents pour les élections du premier tiers, des libéraux de 1789, des feuillans, des citoyens honorables, instruits, la plupart jurisconsultes ou administrateurs d’un vrai mérite : Vaublanc, Siméon, Barbé-Marbois, Pastoret, Dupont (de Nemours), Tronson-Ducoudray, Lebrun, Portalis. Parmi ces députés, plusieurs pouvaient préférer la royauté, mais ils ne conspiraient pas. Ils regardaient la constitution comme un dépôt confié à leur honneur. Ils ne demandaient pas mieux que de conserver la république pourvu qu’elle fût gouvernée par des hommes sages et honnêtes.

Mais la moins imparfaite de nos constitutions politiques, celle de l’an III avait un vice : l’organisation du pouvoir exécutif. Composé de cinq membres élus par le corps législatif, il se renouvelait chaque année, par cinquième. C’était la désunion organisée quand il fallait l’unité. Une seule question passionnait la bourgeoisie : celle de savoir ce que les Anciens et les Cinq-cents feraient des lois révolutionnaires. Les directeurs, au contraire, entendaient maintenir les conventionnels au pouvoir et laisser subsister les mesures qui mettaient hors du droit commun ceux qui s’étaient opposés à la marche de la Révolution. Le conflit était imminent.