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Les élections du second tiers furent encore dirigées par la haute bourgeoisie. Des hommes nouveaux, sachant les affaires, tels que Corbière, Ramel, Defermon, Lafon-Ladebat, Lecoulteux, entraient dans les conseils. Ce fut un changement marqué. Les séances étaient calmes et dignes. Les membres de l’assemblée allaient et venaient sans fracas, ne parlant entre eux qu’à voix basse. Les tribunes, d’où étaient lancées naguère les apostrophes, les injures et les menaces, étaient devenues silencieuses.

Deux représentans éminens de la haute bourgeoisie faisaient leurs débuts dans la politique active. L’un, neveu de Claude Perier, avait entendu à Vizille le premier cri de la révolution et il l’avait recueilli dans son cœur. Appartenant à une famille de commerçans aisés, élevé par les oratoriens, puis au séminaire de Saint-Irénée, où il commença de fortes études théologiques, il avait élu par cette ville de Lyon, que les excès et l’oppression avaient exaspérée. Il se nommait Camille Jordan. En même temps que lui, entrait dans la vie parlementaire un personnage d’un esprit plus profond qu’étendu et déjà puissant par la gravité impérieuse de sa raison ; cet autre grand bourgeois s’appelait Royer-Collard.

Camille Jordan et lui s’étaient unis pour défendre la justice, encore la justice, toujours la justice, ils débutèrent aux Cinq-cents, à un mois d’intervalle (juin, juillet 1797). L’acte le plus important à remplir était la pacification religieuse. Qu’on se reporte par la pensée dans le milieu d’animosités et de fureurs d’alors contre le clergé et les idées catholiques. L’incrédulité philosophique et l’intolérance jacobine n’acceptaient sur cette question ni transaction ni atermoiement. Camille Jordan n’était dans sa conscience que spiritualiste et déiste ; c’est la foi des autres qu’il défendit. Sans vouloir aucun secours direct de l’autorité civile, il pressentit avant Bonaparte le réveil de l’esprit religieux ; et, malgré les railleries, malgré les injures, son âme chaleureuse se fit l’écho des réclamations que les entraves mises à l’exercice du culte soulevaient de toutes parts ; son rapport fut un événement.

La réaction lente et progressive des sentimens, depuis l’installation du directoire, est un des phénomènes moraux les plus curieux à observer. Il n’y a pas, dans notre histoire, de période semblable aux années qui précèdent le 18 brumaire. La liberté de la presse, la liberté des élections et l’impunité alternaient avec une répression arbitraire; la nation, dissoute en individus et déjà livrée à l’éparpillement, au milieu d’une société civile toute nouvelle, se cherchait elle-même. Les propriétaires, les négocians qui attendaient la reprise des spéculations et le retour des capitaux, les employés des bureaux qui ne voulaient plus être renvoyés pour cause d’opinion, les officiers ministériels qui avaient ressenti le choc de tous les