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pas suspect, Barbé-Marbois et Fourcroy, établissaient que la révolution, en province, n’avait modifié d’aucune façon les croyances, « Quand la connaissance du cœur humain, dit le rapport de Fourcroy, n’apprendrait pas que la grande masse des hommes a besoin de religion, de culte et de prêtres, la fréquentation des habitans des campagnes et surtout de celles qui sont très éloignées de Paris, la visite des départemens que j’ai parcourus, me l’aurait seule bien prouvé. C’est une erreur de quelques philosophes modernes, dans laquelle j’ai été moi-même entraîné, que de croire à la possibilité d’une instruction assez répandue pour détruire les préjugés religieux. Ils sont pour le plus grand nombre des malheureux une source de consolation, ils l’ont même été pour quelques esprits très éclairés de tous les siècles. Il faut pardonner et souffrir dans le plus grand nombre des humains une opinion que les lumières les plus grandes et le génie le plus profond ont laissée germer dans la tête de Pascal, de Newton, de Rousseau. La guerre de la Vendée a donné aux gouvernemens modernes une grande leçon que les prétentions de la philosophie voudraient en vain rendre nulle. »

A Vannes, Barbé-Marbois était entré le jour des Rois dans la cathédrale ; on célébrait la messe constitutionnelle; il n’y avait que le prêtre et deux ou trois pauvres. A quelque distance de là, Barbé-Marbois trouva dans la rue une si grande foule qu’il ne pouvait plus passer! c’étaient des gens de toute condition qui n’avaient pu pénétrer dans une chapelle déjà remplie de fidèles, où l’on disait la messe appelée des catholiques. Ailleurs les églises des villes étaient pareillement désertes et l’on allait, à travers des chemins affreux, dans les villages voisins, entendre les prières d’un prêtre récemment arrivé d’Angleterre. Il en était de même en Auvergne. Des lettres du Limousin nous montrent toute la bourgeoisie aux genoux d’un vieux prêtre, aumônier de la princesse de Conti pendant l’émigration, et devenu le véritable curé de la petite ville de La Souterraine. Les autels se relevaient d’eux-mêmes ; une statistique administrative constate qu’au 18 brumaire, le culte était rétabli dans presque toutes les communes de France.

La plupart des personnages entourant le premier consul étaient, au contraire, indifférens ou sceptiques ; quelques-uns même étaient athées. Dans le monde officiel, les croyances religieuses étaient une marque certaine de faiblesse d’esprit. A Paris, le culte catholique n’était suivi que par des femmes et des vieillards. Les jeunes filles de la bourgeoisie commençaient à faire leur première communion. Mais les nombreux adhérens qu’avait conservés dans les familles parisiennes la philosophie du XVIIIe siècle craignaient que la protection du gouvernement ne relevât le crédit du clergé. La séparation de l’église et de l’état désirée par Lafayette était-elle