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pas toute la liberté, c’était l’existence légale et administrée. La haute bourgeoisie ne comprit pas autrement, dans sa haine de la théocratie, la paix avec l’église.

Si, dans le sein du corps législatif et du sénat conservateur, si même parmi les conseillers d’état et les jeunes généraux le concordat rencontra un accueil silencieux ou moqueur, il en fut autrement en province. Il répondait au sentiment religieux et à la raison de cette masse, pleine de bon sens et avide d’union, qui constituait la France bourgeoise.

Cependant les légistes ne croyaient pas que la société civile fût réorganisée tant que leur rêve, longuement poursuivi, d’unité et d’égalité ne serait pas définitivement affermi par la législation, par un code unique pour toute la France. Réaliser enfin, au profit de la patrie renouvelée cette pensée de posséder à jamais et pour tous la loi la plus raisonnable, la plus claire, la plus juste; quel pays pouvait aspirer à cette œuvre grandiose et incomparable, sinon le nôtre, qui, depuis plus de trois siècles, était, par excellence, l’école du droit? On ne dira jamais assez les services rendus à la civilisation et au monde par ces immortels légistes, qui surent à la fois conserver les traditions des anciens principes, transiger entre les coutumes et le droit romain, et vivifier par l’esprit de 89 ce travail, dont les années ne font que grandir les assises majestueuses, l’ordre lumineux et l’harmonieuse sagesse. En dehors des noms célèbres de Tronchet, de Portalis, de Treilhard, de Berlier, de Malleville, de Bigot, il faudrait citer aussi les conseillers d’état, les membres du tribunal, du corps législatif. La liste des hommes judicieux et instruits qui prirent part aux discussions des divers chapitres du code civil est un livre d’or pour la bourgeoisie et complète la liste des députés à la constituante. Une énumération serait fastidieuse. Bornons-nous à mentionner Thibaudeau, Siméon, Rœderer, Merlin (de Douai), Regnault de Saint-Jean d’Angely, Chabot (de l’Allier), Real, Duchâtel, Chazal, Boulay, Cambacérès, Cretet, Defermon, Régnier, Lacuée, Bérenger, Emmery, Eschassériaux, Thiessé, Faure, Petiet, Duveyrier, Grenier, Goupil de Préfeln, Favard, Lavoye, Rollin, Jaubert.

Les titres de prince, de duc, de comte, de baron, que la plupart d’entre eux acceptèrent plus tard, ne vaudront jamais celui de collaborateur à la fondation de la société civile française. C’est là leur éternel honneur; ils le partagèrent avec les membres, plus ignorés, du tribunal de cassation et des tribunaux d’appel, dont les remarques et les observations avaient rappelé les plus beaux jours de la science juridique. Tous, du Nord au Midi, étaient avides d’assurer l’ordre social, de rétablir dans leur intégrité les vrais principes, si longtemps méconnus, et de contribuer à doter leur pays de bonnes lois civiles, le plus grand bien que les hommes puissent donner et recevoir.