Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/337

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étaient assorties. Ils cherchaient en toute chose l’autorité. Voltaire, après avoir régné presque seul sur la scène, cédait le pas à Corneille, à Racine, qui reprenaient faveur. Les nouvelles générations de la bourgeoisie s’en nourrissaient. Le Misanthrope réapparaissait au milieu des petites comédies musquées, « comme si le duc de Sully, retiré depuis longtemps dans ses terres, arrivait de la campagne et entrait dans la salle du conseil, en face des petits-maîtres de la cour de Louis XIII. » Jamais, du reste, plus brillans interprètes n’avaient été donnés aux chefs-d’œuvre du génie français. Jamais notre belle langue n’avait été mieux prononcée. C’était l’école classique par excellence que cette maison, avec des maîtres comme Saint-Prix, Fleury, Monvel, Talma, Mlles Raucourt, Contat, Duchesnois et la jeune Mlle Mars.

Ce n’était plus, comme dans les soirées ardentes de la révolution, une cohue bruyante qui venait applaudir ces acteurs, dont la parfaite tenue, les élégantes manières étaient un enseignement, alors que les traditions presque partout ailleurs étaient oubliées. Le parterre des vieux habitués se reconstituait, et les magistrats, le barreau, le haut négoce, le corps médical, le remplissaient et ravivaient le goût aux yeux de l’Europe, jalouse des succès de la première scène du monde. Les débuts de Mlle Duchesnois et de Mlle George passionnaient et divisaient la société parisienne autant que les passions politiques la laissaient froide; les feuilletons de Geoffroy étaient attendus avec autant d’impatience que l’était autrefois un discours de Mirabeau.

Cette passion du théâtre, elle perçait même dans l’éducation nouvelle donnée aux jeunes filles de la bourgeoisie. De 1791 à 1796, les moyens d’instruction leur avaient partout manqué. Non-seulement les couvens, mais les petites écoles tenues par des religieuses avaient été fermées ; vers 1797, des pensionnats et des externats s’établirent. L’initiative était venue de l’ancienne lectrice de Marie-Antoinette, Mme Campan. Elle avait ouvert, après le 9 thermidor, un pensionnat à Saint-Germain et avait inauguré pour les jeunes filles l’éducation laïque. Dans le règlement de cette maison, comme plus tard à Écouen, les idées pédagogiques de Mme de Maintenon dominaient, mais avec le sentiment de la société issue de la révolution. L’art de bien lire y était estimé au plus haut degré et remplaçait la passion de la danse. Le théâtre était un auxiliaire de l’éducation. En province, les maîtresses de pension louaient la salle de spectacle pour leurs élèves, et si nous voulions connaître exactement la note qui dominait en l’an ix chez les jeunes filles de la bourgeoisie, nous la trouverions dans une lettre de Mme B***, racontant à sa petite-fille ses impressions de jeunesse : — « Mes compagnes et moi, nous n’avions qu’un rêve, qu’un désir : entendre