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rien de plus, rien de moins. La musique n’emploie pas des mots, autrement dit, des signes arbitraires et variables selon ce que vous leur faites exprimer. Ce son, en même temps qu’il est un signe, est une chose existante en soi. Une suite de sons, pour plaire à l’oreille, n’a nul besoin d’avoir un sens ; de même que, dans les arts plastiques, les belles formes charment nos yeux, un accord faux est une laideur dont s’offense notre oreille. Contrairement à l’effet de la parole, qui n’agit sur nos sens que par l’intermédiaire de notre intelligence, les sous agissent sur nos sens directement et l’intelligence n’intervient qu’en deuxième instance. Avançons d’un pas ; ce son, qui déjà porte en soi de quoi plaire ou déplaire, com- biné de certaine façon, éveillera dans l’âme certains sentimens de joie, de tristesse, de rêverie. Mais gare à la paraphrase littéraire et souvenons-nous toujours que les sous ne sont pas des mots pour servir soit à la description, soit à la narration ! La musique a ses symphonies, ses sonates, ses quatuors, pour développer son architecture et remuer en nous un monde de sensations qu’il ne faut pas vouloir trop définir sous peine d’intervertir les rôles, vu que le musicien qui s’entête à raisonner avec son auditoire, à faire œuvre de romancier, de peintre et de dramaturge sans paroles, joue un personnage aussi ridicule que le poète qui se travaillerait en assonances mélodiques; d’où cette conclusion que Mozart est le musicien par excellence et Berlioz un grand homme de lettres fourvoyé. Grillparzer professe à outrance la théorie du chacun chez soi, et ne connaît en musique que le beau musical.

Quant à la question du théâtre, la théorie moderne l’horripilait, et par la profonde antipathie que lui inspiraient, dès leur début, les tendances du wagnérisme, on se rendra compte aisément de ce qu’il penserait aujourd’hui du système. Je me le figure en présence de cet opéra si résolument déséquilibré ; il cherche l’idée mélodique, plus d’idée, mais des mots, des mots que l’orchestre commente et rumine. L’idée mélodique partage désormais le triste sort de la cavatine, et voyez l’amusante contradiction et comme l’ironie est partout en ces querelles de parti! Personne de ces intransigeans n’a l’air de s’apercevoir que, au nombre des trois ou quatre prédilections qu’ils conservent dans le passé, il en est une dont la cavatine fut l’âme ! Oui ou non, les personnages du Freischütz et d’Euryanthe sont-ils des caractères ? Eh bien! tous ces gens-là chantent d’admirables thèmes mélodiques et la cavatine, puisque cavatine il y a, n’amène aucune de ces confusions dont on se plaint dans les opéras italiens ou français de la période rossinienne. La musique vocale n’exclurait donc pas la caractéristique moderne, que nous sommes loin d’avoir inventée. Mozart l’avait déjà trouvée avec abondance et récidive, et