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Weber, s’appuyant sur l’exemple, nous a donné, dans le Freischütz et surtout dans Euryanthe, deux chefs-d’œuvre destinés à servir de type à la conception moderne. Supposons un adepte de la doctrine actuelle ayant à mettre en musique aujourd’hui le poème du Freischütz ; il placera dans l’orchestre son centre de gravité, confiera aux seuls instrumens l’analyse de ses personnages, qui désormais se feront un devoir de vous bercer de mélopée jusqu’à l’envoûtement. « La caractéristique, » par l’abus où nous inclinons, devient la négation même du beau musical.

C’est affaire aux médiocres de s’en référer à des programmes, de commencer et de finir selon des conventions préétablies. L’homme de génie chez qui l’idée affecte, en naissant, une forme organique, regimbera toujours à la tyrannie des paroles ; plus vous serez grand musicien, moins vous fléchirez. « Mozart est plein de ces fautes de texte, remarque Grillparzer, Gluck n’en commet pas, et cela seul à mes yeux juge la question. » Un musicien de théâtre ne connaît que la situation et dédaigne d’entrer en collision avec les mots. C’est en musicien qu’il s’agit de composer un opéra, en musicien et non en poète. Vous saisissez dans ces aphorismes, d’un âge pré-wagnérien, comme une poétique anticipée à l’adresse des doctrines de l’heure présente. Revendication des droits de la musique à l’indépendance absolue, nous rencontrons partout cette profession de foi, dans ses vers comme dans sa prose, et pourtant, détail curieux, cette poésie où la musique tient tant de place n’est jamais de celles qui se mettent en musique ; lui-même, si l’envie le prend de chanter, il choisira de préférence un de ces lieds de Goethe, où la mélodie montre déjà son boulon. Toujours d’humeur à célébrer Mozart, Beethoven ou Schubert, le poète de Sappho n’a rien de ce lyrisme qui prête aux efflorescences mélodiques. Cependant Schubert lui doit la Sérénade, Mendelssohn sa cantate en la qui n’est autre que la pièce intitulée : Italia, dans ses œuvres complètes, et peu s’en est fallu que Beethoven l’ait eu pour collaborateur.

Ils s’étaient, en quelque sorte, toujours connus et fréquentés. « Ma première rencontre avec Beethoven eut lieu chez l’un de mes oncles, en 1804, dans une soirée où se trouvaient aussi l’abbé Vogler et Cherubini. Il était alors svelte, poli et d’une certaine élégance, chose presque incroyable quand on songe à ce que devint plus tard sa façon d’être. Joua-t-il? ne joua-t-il pas? Je l’ai complètement oublié; ce que je sais, c’est que, au moment du souper, l’abbé Vogler était au piano, parfilant toute sorte de variations, et ne s’aperçut pas que nous avions quitté le salon pour la salle à manger. Seuls, Cherubini et Beethoven avaient persisté, mais