Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/369

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du surnaturel, vous le rapprochez de la bête. Remarquez que je dis le pressentiment, et non la certitude. Car, en pareille matière, la certitude n’est guère permise qu’aux hallucinés et n’est indispensable qu’aux infirmes. »

« La dévotion est pour certaines femmes ce que la coquetterie est pour les autres, et leur vient de la même source : le désœuvrement. Elles gaspillent le temps à la toilette de leur âme, comme d’autres à la toilette de leur corps, et vont au confessionnal comme chez la modiste, pour se regarder au miroir. »

« S’il pouvait être établi que Dieu n’existe pas et que l’immortalité de l’âme n’est qu’un songe, tout s’écroulerait : vertu, bonheur, poésie, art. On enseigne aux hommes que Dieu existe, ils y croient plus ou moins, et le monde va son train. »

« A défaut d’une providence individuelle partout présente, besoin nous est de recourir à la nature, qui, nécessairement, pour le maintien de l’espèce, a dû pourvoir chacun de nous de facultés illimitées de conservation et de perfectionnement. Supposons maintenant que deux de ces forces se contrarient et que celle qui veut le mal écrase l’autre. Que devient la responsabilité morale? »

« Le souvenir nous ramène au sujet d’une impression, l’imagination nous en montre l’objet, la fait revivre : par l’une je me souviens d’une phrase que j’ai lue, par l’autre je revois la page et la ligne où cette phrase était. »

« Le génie est une faculté conceptive et créatrice, le talent une faculté de reproduction et d’assimilation. Le talent, sans le génie, conserve toujours sa valeur ; le génie, sans le talent, est un théorème sans la preuve, un de ces attributs dont on jouit tout seul, entre intimes. Ce qui ne se peut rendre par l’exécution n’existe pas. Le génie conçoit et crée, le talent exécute et reproduit. Il est en général chose mondaine, et nous avons même inventé, à son bénéfice, l’adjectif « génial, » qui, de nos jours, s’applique un peu à tout le monde, principalement à ceux qui n’ont pas de talent. »

Les fausses théories n’ont jamais causé la perte d’un art ; elles viennent quand cet art est atteint jusqu’aux moelles. La production est une machine si puissante que son roulement suffit pour étouffer le bruit des esthéticiens. Seulement, lorsqu’elle s’épuise ou se disloque, se propagent les faux principes qui bientôt, obstruant la voie, auront rendu tout impossible, et ce sera à quelque nouveau-venu de remonter l’horloge. La ruine d’un art a pour cause les artistes eux-mêmes, d’où cependant il ne faudrait pas inférer que tel artiste, ayant énormément contribué à la ruine de son art, soit de sa personne un génie médiocre ; son grand art sera, par exemple, d’avoir exclusivement cédé à des tendances tout individuelles.