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de l’histoire de la civilisation, mais sur sa table de travail se trouvait toujours quelque manuscrit commencé, où il déroulait une inépuisable série de miracles : miracles de saint Martin, miracles de saint Julien, miracles des Pères. Il avait une vénération particulière pour saint Martin, dont il était le successeur sur le siège de Tours. Dans la naïveté de son zèle pour la gloire de ce privilégié, il cherche à le pousser aux premiers rangs de la hiérarchie céleste. Il ne veut pas qu’il soit inférieur aux apôtres ni aux martyrs, et, pour l’égaler aux plus grands témoins de la foi, il ruse avec les mots : si le bienheureux n’a pas vécu au temps des apôtres, il a eu du moins la grâce apostolique ; s’il n’est point mort dans les tourmens, il a été « martyr par les embûches secrètes qu’on lui a tendues et par les injures publiques qu’il a essuyées. » Au reste, la renommée de saint Martin a rempli le monde entier ; déjà Sulpice Sévère a écrit une histoire de sa prédication et de ses miracles ; Grégoire la continue, ajoutant les chapitres aux chapitres à mesure que les miracles s’ajoutaient aux miracles. C’est du tombeau sacré dont il est le gardien que l’évêque de Tours considère le monde ; son Histoire des Francs est précédée, à la façon des écrivains chrétiens, d’une histoire universelle qui commence avec l’univers même et qui est terminée à la mort de saint Martin. Les premiers mots sont : « Au commencement. Dieu créa le ciel et la terre, » et les derniers : « Ici finit le livre premier, qui contient 5,546 années, depuis le commencement du monde jusqu’au passage en l’autre vie de saint Martin l’évêque. » À travers le récit des guerres et des crimes, Grégoire suit l’action miraculeuse du saint. C’est auprès de Tours, et après avoir défendu comme le plus grand des crimes d’offenser saint Martin, que Clovis a remporté sa plus grande victoire. C’est à Tours qu’il a reçu les insignes proconsulaires et célébré son triomphe. Même les plus méchans parmi les rois ont des égards pour Martin : un jour, Chilpéric lui a demandé conseil par une lettre qu’il a déposée sur le tombeau avec une feuille blanche réservée à la réponse ; mais l’envoyé du méchant prince attendit en vain trois journées ; la feuille resta blanche, car le saint réservait ses faveurs à ceux qui l’honoraient d’une dévotion sincère. Grégoire ne doute pas que son patron ne soit attentif à toutes choses, aux petites comme aux grandes, et il lui demande protection, conseil, aide contre tous les maux et en particulier contre la maladie. Il a été guéri d’une dyssenterie mortelle en buvant une potion où a été versée de la poussière recueillie sur le tombeau. Trois fois, le simple contact avec la tenture suspendue devant ce tombeau l’a guéri de douleurs aux tempes. Une prière faite à genoux sur le pavé avec effusion de larmes et de gémissemens, et suivie de l’attouchement de la tenture, l’a débarrassé d’une arête qui lui obstruait