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puis il suffit que le remède ait été quelquefois l’affranchissement d’esclaves ou la fondation d’une œuvre de charité pour que l’humanité sache gré à ceux qui ont trou% é les mots Remedium animœ. Mais ces mots nous livrent aussi le secret de la religion mérovingienne, égoïste, intéressée, reposant tout entière sur un calcul, aisément satisfaite par des pratiques extérieures et confondant l’acte pieux avec la piété. La nation des Francs s’imagine qu’elle est liée à Dieu par un contrat qui règle les devoirs réciproques. « Vive le Christ, qui aime les Francs ! » dit un prologue de la loi salique : cette exclamation, qu’on croirait poussée sur un champ de bataille après la victoire, signifie : « Vive le Christ, parce qu’il aime les Francs ! » Pourquoi les Francs s’attribuent-ils des droits à l’amour du Christ ? Parce qu’ils sont le peuple qui « a reconnu la sainteté du baptême et somptueusement orné les corps des martyrs d’or et de pierres précieuses. » Être baptisé, donner des tombeaux et des châsses aux reliques des saints, bâtir des églises et les enrichir, cela procure une créance sur Dieu ; quiconque se l’est acquise se présentera sans crainte au dernier jugement en disant, comme on lit dans un sermon attribué à saint Éloi : « Donne, Seigneur, parce que nous avons donné ! Da, Domine, quia dedimus ! » La puissance de l’argent est telle qu’elle crée la liberté du mal par cela même qu’elle en détruit les effets. Les hommes s’imaginent qu’il y a une compensation réglée pour les péchés, comme le wergeld compensait telle offense ou tel attentat et l’effaçait. Cette coutume germanique a été adoptée par l’église comme les épreuves judiciaires, et déjà sont rédigés des livres pénitentiaires où la taxe des péchés est une véritable dispense de vertus.

La plus grande marque de l’impiété de ces païens parés des dehors du christianisme, c’est qu’ils réduisent Dieu et ses saints à la qualité de forces que l’homme peut subjuguer et employer à sa guise. On leur propose des marchés à tout instant. La femme d’un sacrilège frappé d’un mal terrible, pour avoir blasphémé contre un saint, demande à celui-ci la guérison du malade et dépose des présens dans son église ; le malade meurt et la veuve reprend ce qu’elle a donné, car elle n’a donné qu’à condition. La grand’mère d’un enfant qui vient de mourir porte le corps dans une église consacrée à saint Martin et où se trouvaient des reliques que sa famille avait été chercher à Tours. Elle explique au saint dans quelle espérance ses parens avaient fait un long voyage pour aller quérir ces précieux restes, et elle le menace, s’il ne ressuscite pas le mort, de ne plus courber le cou devant lui et de ne plus faire briller dans son église la lumière des cierges. Les prêtres mêmes prétendent exercer une contrainte sur leurs saints. Un officier du roi Sigebert avait pris possession d’un bien qui appartenait à l’église d’Aix. L’évêque,