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ses origines avait pour objet de répondre à cette question. Les Mérovingiens n’ont pas été des chrétiens, parce que l’église gallo-franque n’était plus capable de transmettre le christianisme. Enfermée dans cette orthodoxie littérale dont les termes sont arrêtés à jamais, à la fois ignorante et sûre d’elle-même, elle ne sait plus pénétrer dans l’âme d’un païen, l’étudier, y analyser les croyances et les sentimens religieux, trouver le point de départ d’une prédication et approprier son enseignement, comme avaient fait jadis les chrétiens philosophes, à l’état des intelligences et des cœurs. Que fallait-il faire pour transformer Clovis en un chrétien ? Il fallait retrouver la notion du Dieu suprême dans la religion germanique parmi la foule des génies et au-dessus des grandes figures qui représentaient les idées de l’amour, de la fécondité de la terre et de la puissance du soleil ; insister sur le sentiment germanique de la fragilité de cette vie placée entre le jour et la nuit ; employer les mythes populaires de dieux qui ont vécu parmi les hommes ; partir d’Odin pour arriver au Christ, et préparer ainsi un guerrier fils de guerriers et fils de dieux, un superbe qui n’aimait que la force, un violent qui ne savait que haïr et pour qui le droit de vengeance était une institution réglée, à incliner sa tête devant le Dieu qui a voulu naître parmi les misérables et mourir d’une mort ignominieuse, afin d’enseigner aux hommes, par l’exemple de sa charité envers l’humanité, le devoir d’être charitables les uns envers les autres. Proposer à Clovis le christianisme, c’était lui demander la transformation de tout son être. Or, si l’on en croit Grégoire de Tours, lorsque Clovis hésitait à reconnaître dans le Crucifié le maître du monde et reprochait à sa femme « d’adorer un dieu qui n’était pas de la race des dieux, » Clotilde lui faisait honte de vénérer des idoles et d’adorer Jupiter, qui a souillé les hommes de son amour et qui a épousé sa propre sœur, puisque Virgile fait dire à Junon qu’elle est « et la sœur et l’épouse du maître des dieux ; » mais Clovis n’avait pas d’idoles, ne connaissait ni Jupiter, ni Junon, ne comprenait pas par conséquent cette dialectique surannée, employée jadis contre les païens d’Athènes et de Rome, et que l’église ne se donnait pas la peine de renouveler. Aussi les réponses du roi barbare montrent-elles qu’il n’entend pas ce qu’on lui veut dire. Le jour où il a vu les siens plier sur le champ de bataille, il a pensé Au Dieu de Clotilde, non point pour se souvenir de l’enfantine théologie qu’elle lui avait enseignée, mais pour inviter le Christ à montrer sa force : « Clotilde dit que tu es le fils du Dieu vivant et que tu donnes la victoire à ceux qui espèrent en toi. j’ai imploré mes dieux, mais ils ne me prêtent aucune assistance. Je vois bien que leur puissance est nulle. Je t’implore et je veux croire en loi, mais tire-moi des mains de mes ennemis ! » Entre ses dieux el le