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Christ il a donc institué une sorte de duel judiciaire, et, quand le Christ se fut montré le plus fort, il l’adora, non pour être né dans une crèche et pour être mort sur la croix, mais parce qu’il avait cassé la tête de ses ennemis.

Peu importe que Grégoire nous ait exactement conté l’histoire de la conversion de Clovis ; il suffit qu’il se la représente comme il fait pour que nous sachions qu’un des évêques les meilleurs et les plus éclairés de la Gaule ne soupçonne même pas qu’il faille chercher une méthode de prédication à l’usage des païens germaniques. Point de preuve plus convaincante de l’inertie intellectuelle où l’église était tombée. Cette inertie est la cause principale de son impuissance, comme l’énergie intellectuelle des premiers siècles avait été la cause principale des victoires remportées sur le paganisme grec et romain. L’activité de l’esprit s’est soutenue pendant la lutte contre les hérésies, mais les combats que l’église livre alors sont de guerre civile, et comme la guerre civile fait oublier l’ennemi extérieur, la guerre contre l’hérétique a fait oublier le païen. Victorieuse une seconde fois, l’église se souviendra-t-elle qu’il demeure des gentils et qu’elle a mission de continuer l’œuvre des apôtres ? Non, car elle a fait dans la lutte des pertes sensibles. Elle a perdu ces instrumens de la sagesse antique qui avaient servi à élever l’édifice du dogme. L’édifice demeure isolé, morne, dans la nuit qui s’est faite sur le monde après que la civilisation ancienne s’est éteinte. Le prêtre ne cherche plus la libre adhésion des intelligences : il impose une doctrine réduite en formules dont il ne sait plus l’histoire, qu’il ne comprend plus et qu’il n’a point souci que l’on comprenne. En même temps que le vide s’est fait dans les intelligences, la conscience du chrétien a été alourdie de tout le poids des superstitions les plus grossières. Occupé à tant de petits devoirs, enchaîné par les liens d’une dévotion compliquée, il a fait assez quand il s’est occupé de lui-même et qu’il s’est mis en règle avec les prêtres et avec les saints. Église et fidèles, arrêtés sur le champ des premières victoires, sont impuissans à faire des conquêtes hors des pays grecs et romains. Les évêques, qui se disent les successeurs des apôtres, répètent encore de temps à autre la parole : « Allez et enseignez les nations ; » mais ils sont incapables d’y obéir : pour enseigner ils n’ont plus l’intelligence assez haute, ni le cœur assez pur.


VI.

Le clergé mérovingien, loin d’avoir propagé le christianisme au-delà des frontières romaines qu’il avait atteintes, au IVe siècle, ne lui a pas même rendu tout le terrain que lui avaient fait perdre