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s’en rendit pas moins à Ottawa pour prêter serment et siéger ; mais telle était la terreur qu’inspiraient ses ennemis, que le greffier du parlement fut obligé de l’introduire seul, à la tombée de la nuit, dans la salle déserte, pour y recevoir son serment. Le lendemain, les abords du parlement étaient assiégés par une foule irritée, décidée à l’écharper s’il se présentait. Devant ces menaces, il s’abstint. Le président déclara son siège vacant, et Riel quitta Ottawa pour n’y plus revenir.

Désespérant, pour le moment, de pouvoir être utile à sa cause, il se retira de nouveau aux États-Unis. Les menaces dont il était l’objet, les accusations violentes dirigées contre lui accentuèrent, si elles ne déterminèrent pas chez lui, une crise intellectuelle et religieuse. Enclin par nature au mysticisme, né sous le ciel mélancolique et brumeux du nord-ouest, d’une mère de race blanche et d’un père métis de blanc et d’Indien, imbu de bonne heure des traditions catholiques, sa vie depuis l’âge de vingt ans s’était écoulée au milieu de ces vastes solitudes et de ces horizons sans limites. Deux idées dominantes hantaient son imagination : les profonds mystères de sa foi et les souffrances imméritées de ses compatriotes et des Indiens, qui ne demandaient qu’à vivre libres sur le sol que Dieu leur avait donné et que leur travail avait défriché. Riel ne comprenait rien aux exigences de la civilisation qui les serrait de près ; il se révoltait contre ses injustices et ses envahissemens. Sobre par nature, il s’indignait contre les marchands d’eau-de-vie qui favorisaient l’ivrognerie des Indiens et en profitaient pour acquérir à vil prix leurs terres et leurs biens. Il en était venu peu à peu à se croire investi d’une mission, humaine au début, plus tard divine, à prendre pour des inspirations d’en haut les suggestions de son esprit frappé et de sa conscience révoltée, à s’estimer en droit d’opposer à la force légale la force matérielle. Dieu devait être avec lui, puisqu’il luttait pour lui. Réfugié dans la Montana, sur les frontières du Canada, il y reçut, dit-il, sa première révélation : — « Il faut que tu marches en avant, » lui dit l’esprit. Je ne savais rien alors, ajouta-t-il, de l’agitation qui régnait dans le Manitoba ; je priais nuit et jour, suppliant Dieu de venir en aide à mes efforts pour protéger les Indiens et les demi-blancs contre l’eau-de-vie. Tout à coup, le 4 juin 1884, je reçus une délégation de mes frères du nord-ouest, m’invitant à venir me mettre à leur tête. Je leur demandai un délai de vingt-quatre heures pour prier et me confesser. Le lendemain matin, je me confessai et communiai avec Gabriel Dumont et Michael Dumas, puis j’ouvris ma Bible et tombai sur ce passage : « Ne te détourne pas de celui qui te demande. » On m’appelait ; mon devoir était de partir. »

Tel était l’homme qui, en mars 1885, à la tête d’une poignée de