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lui préparaient une seconde ligne de défense. Ils entendaient tirer parti de son exaltation religieuse et de son mysticisme bien connu pour plaider, au cas où ils seraient battus sur la question politique, l’irresponsabilité de leur client. À cet effet, ils avaient obtenu des consultations du docteur Ray, médecin de l’asile de Beaufort à Québec, et du docteur Clarke, médecin de la maison de fous d’Ontario, établissant que, dans leur opinion, Riel ne jouissait pas de la plénitude de ses facultés mentales.

Les débats s’ouvrirent le 30 juillet. Le ministère public fit comparaître huit témoins à charge qui établirent non-seulement la participation de Riel au mouvement insurrectionnel, mais encore le fait qu’il l’avait commandé, dirigé et soutenu jusqu’au bout. Il produisit une vingtaine de pièces saisies à Batoché, écrites et signées de la main de Riel, adressées aux demi-blancs et aux Indiens, proclamations et lettres par lesquelles il leur annonçait ses succès à Duck Lake et Fish Greek, les encourageait à attaquer les forts, à capturer les convois et à se joindre à lui pour résister aux troupes du gouvernement. Il établissait, par les mêmes documens, que, si Gabriel Dumont avait eu la direction des opérations militaires, Riel était, de fait, le chef suprême de l’insurrection, que c’était lui qui avait choisi Batoché pour son quartier-général et mis la place en état de défense. Laissant de côté les allégations de Riel qu’il n’avait pris les armes que pour résister à la force par la force et obtenir justice pour les demi-blancs, il prétendait établir que les motifs de Riel étaient tout autres, que ses assertions n’étaient qu’un prétexte, qu’en réalité il avait voulu se venger de son échec de 1869 et de son exil. Enfin, il produisait un document signé de Riel, sorte de programme politique, rédigé en vue d’une séparation du Canada de l’Angleterre et qui consistait à distribuer un septième du territoire aux Irlandais émigrés aux États-Unis et à donner gratuitement des terres aux Hongrois, Bavarois, juifs et Polonais persécutés en Europe. Ce programme bizarre se terminait par des considérations mystiques relatives à l’établissement d’une religion nouvelle.

De ces témoignages et de ces pièces résultait bien, ce qui n’était douteux pour personne, le rôle considérable de Riel dans l’insurrection, mais ils laissaient subsister, d’une part, les revendications de Riel contre les injustices dont se plaignaient ses compatriotes et, de l’autre, ils offraient à ses défenseurs l’occasion de plaider l’irresponsabilité de leur client.

Aux premiers mots qu’ils prononcèrent dans ce sens, Riel protesta. Il n’admettait pas un instant qu’on cherchât à le faire passer pour fou. De leur côté, ses avocats déclarèrent que, si Riel entendait conduire lui-même sa défense et gêner leur liberté d’action, ils seraient obligés de se retirer. La cour décida que Riel eût à