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Les plaidoiries terminées, Riel demanda et obtint la parole. Une foule immense occupait la salle d’audience et les abords de la cour. Riel parla pendant deux heures au milieu d’un silence profond et sympathique. Levant les yeux au ciel, il débuta par la prière suivante : « Seigneur, viens à mon aide, au nom de Jésus-Christ, mon sauveur ! Seigneur, fais reposer tes bénédictions sur moi, sur cette cour, sur les jurés, sur mes avocats qui n’ont pas hésité à faire 700 lieues pour venir ici défendre ma vie. Bénis aussi ceux qui me poursuivent ; ils font ce qu’ils croient leur devoir et ils le font avec bonne foi ! Seigneur, bénis tous ceux qui sont ici présens comme spectateurs et fais que leur curiosité se change en un amour sincère de la vérité ! Amen. »

Abordant ensuite sa défense, il commença par établir, en son style imagé, qu’il se reconnaissait deux mères : celle qui l’avait porté et nourri, et sa patrie. Pas plus la seconde que la première ne souhaitait sa mort. La postérité le jugerait et l’acquitterait. Déjà ne voyait-il pas sa mission produire des fruits ? Cette mission, pouvait-il en douter, alors qu’elle lui avait été annoncée autrefois par l’archevêque Bourget et autres dignitaires de l’église ? Depuis dix ans, il s’y était voué et elle s’achevait dans cette enceinte. Dieu ne l’avait-il pas protégé de tout danger, alors qu’à Batoché les balles bourdonnaient à ses oreilles comme des nuées de moustiques ? Le général Middleton avait déclaré qu’il ne le croyait pas fou. Le ministère public avait, par ses témoins, mis à néant les déclarations des médecins qui concluaient à sa folie. Il priait Dieu de les bénir tous deux. Si les jurés le condamnaient à mort, il aurait du moins la satisfaction de savoir qu’on ne le tenait pas pour un fou. Suivant lui, il n’avait fait qu’user de son droit en provoquant une agitation pacifique ; le gouvernement seul l’avait fait dégénérer en guerre civile ; au gouvernement incombait la responsabilité du sang versé. Injustement traités, ses frères et lui avaient respectueusement réclamé leurs droits ; injustement attaqués, ils s’étaient défendus. Dieu était avec eux : « S’il y a ici quelqu’un de fou, dit-il en terminant avec véhémence, ce n’est pas moi, mais ceux qui dirigent les affaires publiques. À nos demandes légitimes ils ont opposé la ruse et les embûches. Ils nous ont cernés sans bruit et ont voulu nous écraser sur les rives du Saskatchewan. Mais quand ils ont montré les dents, j’étais prêt. J’ai commandé le feu et les ai fait reculer. Rappelez-vous que c’est là ce qu’ils appellent mon crime et ma trahison. Ils m’y ont forcé. J’ai agi au nom de Jésus-Christ, en qui seul je me confie. Maintenant, ils demandent ma mort. Si vous me croyez fou, irresponsable, acquittez-moi pour avoir repoussé en fou l’agression d’autres fous. Si vous croyez avec le ministère public que je suis sain d’esprit, acquittez moi encore, puisque, sain d’es-